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des hommes illustres étaient fous ou étaient frappés de quelqu’une de ces maladies nerveuses qui sont liées à la folie. Le cardinal de Richelieu avait une sœur malade de l’esprit, la mère de l’empereur Charles V fut atteinte de mélancolie, son fils fut le sombre, despotique et fanatique Philippe II ; celui-ci eut lui-même pour fils don Carlos, qui paraît avoir été fou. Le caractère étonnant de Louis XI semble être le résultat d’une maladie héréditaire dont Charles VI, Charles VII, Anne de France et Jeanne de France furent plus ou moins frappés. La sœur de Hegel était folle, l’oncle et la grand’mère de Schopenhauer, une sœur de Diderot moururent aliénés ; le père de Beethoven était un ivrogne, et l’on sait le rapport étroit de la dipsomanie et de la folie. On peut remarquer en général que les jeunes gens des familles dans lesquelles quelques membres sont atteints de maladies de cerveau montrent de grandes dispositions intellectuelles, tandis que les enfants d’hommes illustres ont une très petite force de conception. On observe encore et plus fréquemment que les hommes bien doués ne tombent pas absolument dans la folie, mais sont frappés de quelqu’une de ces maladies qui rentrent dans le grand royaume des maladies cérébrales ou nerveuses ; ils ont des anomalies psychiques, des hallucinations sensorielles, quelques déviations de pensée ou excentricités, enfin quelques habitudes bizarres, des tics qui découvrent une déformation de la vie normale. Il faut lire dans l’ouvrage même et surtout dans les notes le récit de toutes ces anecdotes recueillies avec une très remarquable érudition. Remarquons, pour terminer cette partie historique du sujet, que beaucoup d’hommes distingués se donnèrent eux-mêmes la mort, ce qui n’est pas la marque d’un esprit bien sain.

Il me semble que cette énumération d’anecdotes laisse quelques doutes dans l’esprit. Il est si difficile de se défendre dans ce sujet de deux exagérations : tantôt on considère comme des hommes de génie des personnages dont le nom est bien peu connu, tantôt on signale comme une folie manifeste bien des actions ou des paroles qui chez tout autre passeraient inaperçues. M. Radestock n’écrit-il pas quelque part que l’habitude du monologue est un signe d’aliénation mentale ? Nous aurions mauvaise grâce d’insister, car l’auteur à la fin de cette première partie reconnaît très bien lui-même les défauts de son argumentation et les reproches qu’on pourrait lui faire. Bien des esprits supérieurs, dit-il lui-même, n’ont présenté aucune trace de folie ; les véritables fous qui sont dans les hôpitaux n’ont pas été tous, il s’en faut, des hommes supérieurs. Si la folie se montre plus souvent dans les classes cultivées, ce n’est pas parce qu’on y rencontre plus de têtes bien douées, mais parce qu’elles sont soumises davantage aux influences nuisibles que le travail mental amène à sa suite. Je ne trouve pas que les réponses de M. Radestock détruisent entièrement l’effet de ces remarques fort justes, tout au plus prouverait-il que le génie met les hommes dans des situations favorables aux désordres de la pensée. Il amène les passions et l’orgueil, il provoque les grands efforts intellec-