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eux, parce qu’il en entendait sans cesse parler autour de lui, parce qu’il aimait la discussion.

Ajoutons, ce qui est bien autrement important pour nous, que les renseignements qu’il nous donne sont exacts, parce qu’il les puisait à bonne source, s’inspirant des meilleurs philosophes de son siècle, un Clitomaque, un Panétius, un Antiochus, un Philon. N’est-il donc qu’un copiste, un plagiaire ? S’il l’était, il ne faudrait pas s’effrayer du mot : il n’aurait ni le sens, ni la portée que nous lui attribuons quand il s’agit d’un moderne. C’est une juste remarque de M. Thiaucourt (p. 35 ?) que « l’antiquité ne connaissati pas nos scrupules littéraires : l’imprimerie n’avait pas encore multiplié les livres et rendu les plagiats inexcusables. Mais il ne l’est pas. M. Thiaucourt, réagissant contre les excès de la critique allemande, s’est, en maints endroits, attaché à le prouver. Les idées que Cicéron a empruntées, il les a faites siennes par la réflexion et par l’étude : il les revêt d’une forme incomparable ; il les présente dans un ordre qui est bien à lui. De son propre aveu, c’est tout ce qu’il voulait. Par une heureuse rencontre, nous pouvons donner à Cicéron tous les éloges qu’il souhaitait, puisqu’il n’a jamais prétendu à une autre originalité que celle du style et de la composition, et lui savoir gré même des qualités qu’il n’a pas. Il aurait moins de titres à nos yeux s’il avait davantage mêlé ses propres pensées à celles qu’il emprunte son absence d’originalité philosophique, qui n’était pas un défaut à ses yeux, est, aux nôtres, un mérite. Tel qu’il est, on peut dire sans crainte qu’il a bien mérité de la philosophie.

Nous voilà bien loin du jugement ridiculement sévère de Mommsen, qui appelle Cicéron « un faiseur, indifférent à l’œuvre à laquelle il employait sa main, un journaliste, dans le plus mauvais sens du mot. » M. Thiaucourt est beaucoup plus juste. « La doctrine de Carnéade, dit-il (p. 356), adoptée par Cicéron dans les questions purement spéculatives, était moins un scepticisme frivole qu’un doute prudent et méthodique. L’accent persuasif de Cicéron ne saurait venir que d’une conviction, sinon scientifique, du moins esthétique et morale : ces doctrines étaient si belles qu’il fallait les croire. Ne devons-nous pas résoudre les problèmes les plus importants par des actes de foi ? Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Les Tusculanes donnaient du courage au timide Atticus, et Cicéron relisait le dialogue sur la Vieillesse pour calmer son humeur chagrine. Comment expliquer cette conduite chez Atticus et chez Cicéron, s’ils n’avaient vu dans les traités philosophiques de ce dernier que des déclamations puériles et vides ? »

Nous ne saurions mieux terminer ce trop rapide compte rendu qu’en citant la conclusion d’un article qu’un critique d’une haute autorité, M. J. Denis[1], a consacré à l’œuvre de M. Thiaucourt, et où il reprend la question dont nous venons de nous occuper avec la supériorité qui

  1. Bulletin mensuel de la Faculté des lettres de Caen, n° de juillet 1885, Paris, Leroux.