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analyses. — Herbert spencer. The Data of Ethics.

pas tempéré dans une certaine mesure par l’altruisme, et il est hors de doute que pour le plus grand bonheur des peuples, comme pour celui des individus, le développement de la sympathie au delà des frontières politiques est une condition fort désirable. Une nation ne peut rester indifférente au malheur d’une autre nation.

L’égoïsme et l’altruisme ont donc l’un et l’autre leur raison d’être. S’ils se justifient tous les deux, même en partie, c’est que ni l’un ni l’autre de ces modes d’action ne doit être exclusivement adopté[1]. L’état moral des peuples les plus avancés résulte d’un compromis entre l’égoïsme et la sympathie, avec un excès d’égoïsme cependant. Le nombre des institutions charitables s’est accru ; mais dans les relations internationales, et surtout dans les relations des nations civilisées avec les tribus barbares, on a trop conservé les anciens usages.

Il faut une conciliation plus complète, définitive entre les différents intérêts. Cette conciliation est à peu près achevée dans le domaine de la famille. Gomment arriver au développement nécessaire de la sympathie ? Comment espérer que toutes les causes de malheur, telles que la guerre, l’excès des naissances sur les décès qui rend si dures dans certains cas les conditions de la vie, disparaîtront de manière à permettre le progrès de cet amour pour les autres ? Ce sentiment en effet ne peut s’accroître que dans la mesure où nous retirerons plus de plaisir que de peine de nos relations avec nos semblables : pour être aimé, il faut être heureux. Par la suite, l’évolution doit continuer son œuvre, rendre les rapports des hommes plus pacifiques et amener un état de choses plus favorable à l’expansion de nos sentiments sympathiques, et ceux-ci à leur tour contribueront à l’amélioration de la condition humaine. On peut concevoir une époque où nous serons assez disposés à nous réjouir du bonheur les uns des autres pour que personne ne soit tenu, comme aujourd’hui, à mettre quelque réserve dans l’expression de son propre bonheur, et le développement de la sympathie fera par suite de nouveaux progrès. Les occasions pour se dévouer, pour sacrifier son intérêt à celui d’autrui, seront sans doute bien plus rares dans ce monde heureux ; mais— l’altruisme prendra une forme nouvelle : il ne consistera plus à respecter l’intérêt des autres ; mais bien à favoriser l’exercice de leurs sentiments sympathiques. L’équité ordinaire est de ne pas contrarier l’activité égoïste de nos semblables ; mais il est d’une équité plus.haute de ne pas contrarier leur activité sympathique à notre égard. Nous en avons d’ailleurs des exemples déjà : est-il rare de voir d’honnêtes gens souhaiter qu’une affaire qu’ils traitent en commun soit véritablement avantageuse à l’autre partie, et n’est-ce pas une délicatesse assez commune que de prendre siricère-

  1. Ce chapitre contient une forte et piquante critique du principe « du plus grand bonheur » proposé par Bentham ; mais M. Bain reproche à M. Spencer d’avoir mal interprété la théorie de son prédécesseur et de n’avoir pas assez vu l’analogie de son propre système avec celui de Bentham. (Mind, oct. 1879.)