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Elle n’agit que par l’intermédiaire des forces qui sont en elle. Voici par exemple un morceau de plomb que je tiens dans ma main. Ce plomb est pesant ; mais ce n’est pas le plomb lui-même qui agit sur mon toucher : c’est la force qui attire ce plomb vers la terre, force qui se fait sentir à moi d’une certaine manière que je conçois très nettement. A la vérité, cette distinction est un peu subtile, car nous sommes habitués à confondre la force avec la matière, son substratum, et quand nous éprouvons la sensation de pesanteur, nous affirmons qu’il y a non pas seulement de la pesanteur, mais un corps pesant. Il nous est impossible de penser ou de parler autrement.

Aussi laisserons-nous de côté cette.distinction entre les forces et la matière.

La première question qui se pose est celle-ci : La matière est-elle continue ou discontinue ? c’est-à-dire, entre deux éléments pondérales, peut-on concevoir qu’il existe un espace, si petit qu’il soit, dépourvu d’éléments pondérables ? Ce problème, qui a tant agité les grands esprits du xviie siècle, semble maintenant à peu près résolu par le consentement universel, et on s’accorde à reconnaître que la matière est formée de parties discontinues, lesquelles sont de différents ordres de grandeurs. On peut jusqu’à un certain point comparer la matière au système planétaire, constitué par des corps de différentes grandeurs (la terre, Jupiter, le soleil, etc.), séparés par des intervalles différents.

La seconde question est de savoir si la matière est divisible à l’infini, ou s’il existe une limite à sa divisibilité. Il ne s’agit évidemment pas de cette division grossière qu’on peut effectuer à l’aide des instruments, même les plus délicats, que nous fournit la physique. On ne conçoit pas en effet une poussière si ténue qu’elle ne puisse être rendue plus ténue encore ; de même, on ne s’imagine pas une dilution si étendue qu’on ne puisse plus l’étendre. C’est seulement à la limite, comme on dit en mathématiques, et sous l’influence de forces spéciales, qui sont les forces chimiques, que la matière se résout en particules dont les dimensions sont infiniment petites, mais non pas nulles. Mécaniquement, ces particules sont des points matériels ; chimiquement, des atomes.

Ainsi, à l’aide du spectroscope, on peut déceler un trois millionième de milligramme de sodium. Cette minime quantité contient cependant un nombre infini d’atomes. Toute quantité finie d’un corps, si petite soit-elle, contient toujours des atomes en nombre infini. Ils ne peuvent se séparer que pour s’unir aussitôt avec d’autres.

Cette grande conception de la matière constituée par des atomes, c’est-à-dire non divisible à l’infini, est due à Épicure, et elle a été