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qu’à prétendre avec Descartes que l’idée seule du parfait pose son existence. Si nous pensons le parfait, dit-on, le parfait existe ; dans quelle mesure pensons-nous le parfait ? peut-il exister ? La perfection relative est une idée claire. Des données de l’expérience, l’entendement dégage certains types qui n’existent dans toute leur pureté que comme idée, mais que la nature semble s’être proposés pour modèles de ses créations. « Autant de types, autant de perfections différentes : » il y a la perfection de l’homme, de l’animal, de la plante, qu’aucun homme, qu’aucun animal, qu’aucune plante ne réalise entièrement. Le caractère propre de la perfection, c’est donc de ne pas exister, puisqu’elle n’est qu’un type, qu’un idéal, dégagé par le travail de la pensée. L’idée de la perfection absolue vient de la nécessité logique qui ne permet pas plus à l’esprit de s’arrêter dans la catégorie de la qualité que dans la catégorie de la quantité ; à ce titre, elle est une conception nécessaire ; mais, comme il y a « autant de perfections que de types », elle est sans objet définissable, et, dès qu’on la réalise, elle se résout en une synthèse de qualités contradictoires. L’Être n’est pas parfait : telle est la conclusion qui s’impose ; mais « il est infini en puissance, en fécondité, en beauté, en bonté, puisque rien ne borne sa force créatrice et sa vertu bienfaisante. Seulement cette infinité ne réside que dans la faculté, la substance même de l’Être universel ; elle ne se retrouve dans aucune de ses œuvres, dans aucun de ses modes, dont le caractère est d’être essentiellement fini. En un mot, pour emprunter la formule si exacte d’Aristote, l’infini existe en puissance, non en acte. L’infinité en acte serait la perfection, laquelle répugne précisément à tout ce qui est réalité et non idée pure. » Nous pouvons maintenant marquer le rôle de la raison : elle a pour fonction, comme l’entendement, la synthèse des éléments fournis par l’expérience. Si nous élevons au-dessus du monde un Être parfait, infini, Dieu sans rapport au monde, nous réalisons des abstractions, nous tombons dans les contradictions de la vieille métaphysique : la perfection sans type définissable, l’immensité sans étendue, la vie sans mouvement, la pensée sans succession ; mais si nous appliquons les idées rationnelles à l’univers, considéré dans la totalité de ses phénomènes, elles retrouvent tout leur sens ; elles ont un objet qui ne peut être déterminé, représenté, connu, mais qui est définissable et intelligible, qui peut être conçu ; cet objet c’est le Tout, c’est la Vie universelle ; elles sont l’unité de tout ce qui est, comme les notions de l’entendement sont l’unité des individus et des phénomènes[1].

  1. Tome ii, p. 179-241.