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Th. ribot. — la memoire comme fait biologique.

aujourd’hui chez l’animal, est le produit de l’hérédité, c’est-à-dire d’une mémoire spécifique ; qu’elle a été autrefois acquise, puis fixée et rendue organique par des répétitions sans nombre. Nous renonçons à faire valoir cet argument en faveur de notre thèse, qui en a d’autres bien moins discutables.

Le vrai type de la mémoire organique — et ici nous entrons dans le cœur même de notre sujet — doit être cherché dans ce groupe de faits que Hartley avait si heureusement nommés actions automatiques secondaires (secondarily automatic) par opposition aux actes automatiques primitifs ou innés. Ces actions automatiques secondaires, ou mouvements acquis, sont le fond même de notre vie journalière. Ainsi, la locomotion qui chez beaucoup d’espèces inférieures est un pouvoir inné, doit être acquise chez l’homme : en particulier ce pouvoir de coordination qui maintient l’équilibre du corps à chaque pas par la combinaison des impressions tactiles et visuelles. D’une manière générale, on peut dire que les membres de l’adulte et ses organes sensoriels ne fonctionnent si facilement que grâce à cette somme de mouvements acquis et coordonnés qui constituent pour chaque partie du corps sa mémoire spéciale, le capital accumulé sur lequel il vit et par lequel il agit, tout comme l’esprit vit et agit au moyen de ses expériences passées. Au même ordre appartiennent ces groupes de mouvements d’un caractère plus artificiel qui constituent l’apprentissage d’un métier manuel, les jeux d’adresse, les divers exercices du corps, etc., etc.

Si l’on examine comment ces mouvements automatiques primitifs sont acquis, fixés et reproduits, on voit que le premier travail consiste à former des associations. La matière première est fournie par les réflexes primitifs : il s’agit de les grouper d’une certaine manière, d’en combiner quelques-uns à l’exclusion des autres. Cette période de formation n’est parfois qu’un long tâtonnement. Les actes qui nous paraissent aujourd’hui le plus naturels ont été à l’origine péniblement acquis. Quand le nouveau-né a pour la première fois les yeux frappés par la lumière, on observe une fluctuation incohérente des mouvements ; quelques semaines plus tard, la coordination des mouvements est opérée, les yeux peuvent s’ajuster, fixer un point lumineux et en suivre tous les mouvements. Lorsqu’un enfant apprend à écrire, remarque Lewes (ouvrage cité, p. 51), il lui est impossible de remuer sa main toute seule ; il fait mouvoir aussi sa langue, les muscles de sa face et même son pied. Il en vient avec le temps à supprimer les mouvements inutiles. Tous, quand nous essayons pour la première fois un acte musculaire, nous dépensons une grande quantité d’énergie superflue, que nous apprenons graduellement à