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j. sully. — le plaisir de la forme visuelle.

changement dans les quantités relatives d’action de deux ou plusieurs muscles qui se combinent. Tous les mouvements compliqués d’objets et tous les arrangements de lignes dans la forme des corps fournissent de pareilles variations en abondance.

Voilà pour le changement d’élément. Passons à l’autre condition de succession agréable, à savoir la continuité. La première manière, la plus évidente, de réaliser cette continuité, est de réduire le degré de changement ou de contraste à un minimum. De cette manière, nous obtenons une gradation de mouvement ou dans le sens de la vitesse ou dans celui de la direction.

La gradation dans la direction ou dans la vitesse, comme la gradation dans le ton de la couleur ou dans la hauteur du son, est accompagnée d’un sentiment particulièrement agréable. Un seul et même mouvement peut présenter un gain et une perte graduels de vitesse, et il est probable que c’est là la forme de mouvement naturellement produite par toute contraction musculaire. La gradation dans la direction, qui est à la base de tout mouvement curviligne, dépend d’un changement graduel dans les degrés relatifs d’activité de deux ou plusieurs muscles, et correspond ainsi à la gradation dans la couleur ou dans le ton, qui est supposée tenir à une augmentation continue d’activité dans certains éléments nerveux et à une diminution continue dans d’autres. Un mode de gradation analogue à celle de la direction se produit dans les mouvements symétriques de convergence, et particulièrement quand on transporte les axes d’un point voisin à un point éloigné, relâchant ainsi graduellement la tension due à la convergence[1].

Ce genre de plaisir moteur est réalisé quand nous nous tenons au milieu d’un édifice ou d’une allée d’arbres et que nous traçons une ligne centrale imaginaire qui s’éloigne : et li est remarquable que nous nous mettons naturellement en position, et que nous exécutons ce genre de mouvement, toutes les fois que nous voulons apprécier l’effet de la perspective. On peut ajouter que l’union de la gradation de vitesse avec celle de durée, comme par exemple lorsqu’on suit la trace d’un projectile à travers le champ de la vision, fournit à l’œil sa plus riche forme de plaisir moteur.

Une série graduelle de mouvements produit, de la manière la moins excitante, le sentiment de variété ; si l’on désire un plus puissant effet de changement, on devra chercher l’élément de gradation

  1. Un mouvement rectiligne de l’œil, pour partir de la position primordiale et y revenir, fournit un léger sentiment de gradation, analogue à ce qu’on éprouve dans les mouvements de convergence.