Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/501

Cette page n’a pas encore été corrigée
491
H. LOTZE. — L’INFINI ACTUEL EST-IL CONTRADICTOIRE ?

sans jamais changer de nature, l’élargissement illimité des bornes que nous lui aurions données ; or, comme ce n’est que notre pensée qui par ces agrandissements successifs s’empare d’un volume additionnel dont elle sait qu’il existe simultanément avec celui qui lui a servi de point de départ, rien ne peut nous interdire de regarder comme simultanée en elle-même l’étendue infinie, correspondant à ce mouvement successif illimité.

Voilà les raisons sur lesquelles les partisans d’un infini réel appuieraient leur thèse ; je ne fais que les reproduire. M. Renouvier les condamne comme impliquant contradiction. Avant d’examiner la valeur de cet arrêt, je reprends ici quelques remarques qui n’ont pas été approuvées par mon adversaire. Quand un moment de temps supposé réel vient à passer et à être remplacé par un autre, nous ne savons, et il serait absurde de chercher à le savoir, comment il se fait que le premier perd la réalité dont il jouissait et comment l’autre acquiert la réalité qu’il ne possédait pas encore ; mais si ce procédé est incompréhensible, il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a rien de contradictoire dans le résultat, une fois qu’il est effectué : le moment qui n’est plus n’est pas ; et celui qui est est véritablement ; il n’y aurait contradiction que si celui qui est passé persistait et si l’autre, qui est, n’existait pas. Ce qui est possible en soi, le passage d’un moment à l’autre, est possible sans aucune limite ; du second au troisième, du troisième au quatrième, nous serons conduits par ce même procédé incompréhensible, mais sans trouver aucune contradiction dans le résultat effectué. Rien ne nous empêche donc de considérer ce passage comme infini ; rien ne nous autorise à lui marquer des limites ; car ce n’est pas nous qui faisons l’écoulement du temps ; nous ne sommes même pas capables de reconstruire le procédé par lequel il s’opère lui-même. Mais en reconnaissant ainsi l’infinité, nous nous rendrions coupables de contradiction si nous persistions à vouloir comprendre comme un tout achevé, ce qui ne s’achève pas : c’est pourquoi il sera toujours vrai que l’infini ne peut être atteint par aucune synthèse. Quand, en divisant un volume de l’espace, nous avons la certitude de pouvoir toujours et sans limite répéter la division, nous ne savons pas comment l’espace supposé réel s’y prend pour rendre possible ce qui ne cesse de nous paraître mystérieux ; mais il n’y a pas de contradiction dans le résultat effectué ; l’élément a, séparé de l’élément b, sera toujours autre que b, en dehors de b ; il n’y aurait contradiction que si a et b, après avoir été séparés, ne formaient encore qu’un seul élément individuel. Quand nous passons d’un volume circonscrit à un autre plus grand, nous ne savons comment l’espace parvient à unir, dans