Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/494

Cette page n’a pas encore été corrigée
484
REVUE PHILOSOPHIQUE

formes, il n"en persiste pas moins à voir dans ce monde transcendant la source des phénomènes observables. On se rappelle avec quelle énergie, définissant le monde de l’expérience comme l’apparition du monde en soi, il s’élevait contre la conception d’une série de purs phénomènes qu’on osait présenter comme étant sa propre doctrine. C’est alors que commence cette perpétuelle torture de l’esprit condamné à la fois à chercher dans les choses en soi les conditions qui déterminent la diversité de l’apparition, des phénomènes, et à refuser à ces mêmes choses toutes les déterminations de multitude, de variété, de relation, qui leur seraient cependant nécessaires pour conditionner ce cours si varié des faits d’expérience. Je ne puis qu’indiquer ici ces difficultés, qui feraient le sujet d’une longue discussion ; je désire seulement marquer la position que j’avais prise et dans laquelle je devais m’attendre à être attaqué par celui qui aurait voulu découvrir, pour la couper, la racine même de mes erreurs.

M. Renouvier n’a point porté ses efforts de ce côté ; il entend se mettre au point de vue propre de Kant, « pour parler d’un monde en soi, dit-il, dont, pour notre part, et moins encore que Kant, nous ne voudrions examiner la manière dont il est et se comporte. » En s’exprimant ainsi, M. Renouvier a déjà jugé la cause. Sans s’apercevoir le moins du monde que j’avais commencé par nier formellement la vérité de cette théorie fondamentale d’une prétendue impossibilité d’examiner la manière d’être du monde en soi, il me traite comme si j’avais, par négligence, désobéi aux prescriptions de Kant ; il m’apprend que ce philosophe n’avait garde d’opposer le réel au sensible et à l’empirique. Mais je le savais bien et j’y voyais la principale erreur de mon illustre maître ; toutefois, pour définir les termes de la véritable opposition qu’il faut maintenir, je n’aurais pas choisi les expressions dont M. Renouvier s’est servi. J’avais postulé qu’il y a dans le monde réel (en soi) autant d’éléments discernables qu’il se trouve dans le cours du monde sensible d’éléments discernables nécessairement dépendants des premiers. « Envisager, s’écrie M. Renouvier, des éléments en soi distincts, nombrables, sujets de la catégorie du quantum ! … » Je me rappelle ma jeunesse en lisant ces mots. Oui, je me rappelle très bien ces leçons de l’école kantienne. Sans doute il est interdit à cette école d’envisager des éléments en soi distincts, etc. Mais, comme il est cependant indispensable de le faire si l’on regarde le monde de l’expérience comme l’apparition du réel, je suis assurément autorisé à condamner comme absolument fausse la conception d’un monde en soi dont toute détermination quelconque nous serait interdite.

En voilà assez sur ce sujet. Je défends mes convictions sans pré-