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On pourrait, il est vrai, essayer d’écarter ces difficultés, surtout la première, en admettant que les observations dont il s’agit auraient été faites, durant un nombre presque illimité de siècles, par une multitude incalculable de générations successives, qui auraient ainsi, sans le savoir, constitué le futur capital intellectuel de l’espèce humaine. En vertu de l’hérédité, les résultats de ces observations se seraient condensés, à la longue, en un système de notions moyennes, incomparablement mieux définies et plus constantes qu’ils ne pouvaient l’être pris isolément, de même que la moyenne d’un grand nombre de mesures, effectuées par diverses personnes sur un objet déterminé, se trouve d’ordinaire beaucoup plus exacte que ces mesures, ou de même qu’une série de petites impulsions inégales, exercées sur un corps d’une certaine masse, produisent, à la longue, un mouvement moyen à fort peu près constant, ou graduellement variable, dans lequel sont amorties les irrégularités des impulsions successives, Alors les observations personnelles ne joueraient plus que le rôle de causes excitatrices, destinées à éveiller chez l’enfant des facultés engourdies : elles n’auraient qu’à faire surgir du fond de l’intelligence les notions générales qui s’y trouveraient déposées, à l’état virtuel, dès le début de l’existence individuelle, et qui ne demanderaient qu’à se déployer.

Mais — outre qu’il semble difficile au bon sens d’arriver à des résultats d’une rigueur et d’une concordance absolues, comme le sont les idées géométriques, par des combinaisons d’éléments imparfaits, si nombreux qu’on les suppose — un examen plus attentif montre qu’il est, de toute manière, impossible de ne pas attribuer la première apparition de ces idées à l’activité propre de l’esprit comme à sa cause principale.

En effet, considérons d’abord, parmi les notions de la géométrie, celles qui paraissent le mieux pouvoir se réduire à des moyennes de résultats d’expérience. Tel est, par exemple, le cercle parfait, qui tient le milieu entre un grand nombre de figures concrètes peu différentes, s’en écartant légèrement, les unes, dans un sens, les autres, dans un autre. On concevrait, jusqu’à un certain point, que l’idée du cercle résultât spontanément de l’impression composée produite dans l’intelligence par toutes, ces figures, si celles-ci étaient les seules que présente l’observation. Mais il y a, dans la nature, bien des objets dont la forme est loin d’être ronde ; et il faut que l’esprit sache d’abord extraire, par le souvenir, les images quasi-circulaires du nombre prodigieux de celles qui ne le sont pas et qui ont été également’en vue : ce n’est qu’après le groupement des images quasi-circulaires, que leur fusion pourrait conduire à