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substance placée dans la bouche soit perçue, il faut que la langue la presse contre le voile du palais et la voûte palatine, de manière que la salive imprégnée de la substance dissoute s’infiltre à travers les papilles de la langue. D’ailleurs, le voile du palais lui-même et certaines régions du pharynx sont sensibles aux saveurs. Ainsi, à supposer que la langue reste immobile, il n’y aura pas de sensation gustative.

Le sens du toucher nécessite des mouvements plus encore que tout autre sens. Pour apprécier les qualités d’un objet solide, telles que la consistance, la température, la pesanteur, la rugosité, il faut le concours des nombreux muscles qui meuvent nos membres. À supposer même que, sans que nous ayons fait un mouvement, la peau eût été ébranlée par le contact d’un corps solide, que pourrions-nous connaître de ce corps, s’il nous était interdit de le tâter, de le palper, de promener la main sur ses diverses parties, de le soulever de terre, d’explorer son poids et sa température, en le prenant de toutes manières, dans divers sens, à plusieurs reprises, et en répétant fréquemment ces mêmes opérations ? Assurément tous ces mouvements sont indispensables. On s’en rendra bien compte en faisant l’expérience suivante. Qu’on applique la pulpe d’un doigt sur un objet quelconque, et qu’on reste ainsi pendant quelques secondes sans déplacer le doigt, sans appuyer le moins du monde sur cet objet, en un mot en s’abstenant absolument de tout mouvement. Le toucher sera très insuffisant. Bientôt, au bout de quelques secondes, d’une minute tout au plus, on aura perdu complètement la notion du contact de cet objet, on ne pourra même plus affirmer qu’il y a un corps étranger, extérieur à l’organisme et agissant sur lui. Au bout de deux à trois minutes, toute sensation positive aura disparu. Pour peu que les yeux soient fermés, on ne saura pas dire dans qu elle position on a mis les mains ; on pourra encore moins juger de la température de l’objet extérieur, car la température d’un corps ne peut être appréciée qu’on explorant successivement les diverses parties de la surface de ce corps. En un mot, le sens musculaire et le sens du toucher ne peuvent avoir lieu que s’il y a mouvement, et mouvement incessant, des muscles de la main ou des membres.

Ces faits comportent une explication très générale. Ce qui agit sur nos nerfs et nos centres nerveux, ce n’est pas tant l’excitation elle-même que le changement d’excitation. Il est donc nécessaire que cette excitation varie. Étant donnée une excitation constante A, je suppose ; par suite de la fatigue, soit du nerf qui la transmet, soit des centres nerveux qui la reçoivent, au bout de quelques secondes l’excitation reste sans effet, et il sera nécessaire, pour qu’il y ait sen-