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g. séailles.philosophes contemporains

une, identique, indépendante, et retrouver dans tout ce qui est des forces analogues ; ils sont dupes d’une illusion subjective ; ce n’est pas l’unité primitive de l’esprit qui fait l’unité de la pensée, c’est l’unité des pensées coordonnées par les catégories de l’entendement qui crée l’unité dérivée, saisie par la conscience du moi. Les idéalistes oublient que les lois de la pensée n’ont d’autre fonction que de faire la synthèse partielle des phénomènes et de pousser cette synthèse aussi loin qu’il est possible ; ils veulent atteindre la réalité, saisir dans leurs rapports le monde, l’âme et Dieu ; mais ils n’arrivent qu’à se contredire, et toujours entre eux et les objets inaccessibles qu’ils poursuivent se dresse l’obstacle infranchissable des antinomies[1].

Kant semble l’avoir établi^ les systèmes ne peuvent vivre que la vie éphémère des êtres monstrueux, leur germe de mort étant dans le principe qui les crée. L’homme ne se résigne pas ; il y a en lui une âme métaphysique qui sans cesse se construit un nouveau corps de dogmes et de formules, âme mobile, mais immortelle, qui ne peut ni s’enfermer dans une forme définitive, ni renoncer à vivre et pour vivre à se réaliser dans des conceptions particulières. Voici que l’arme avec laquelle on prétendait la tuer devient l’instrument dont elle se sert pour se créer un corps nouveau. Qui sait si la contradiction n’est pas la vérité même et si elle ne peut se résoudre en une harmonie.’? Hegel est le disciple inattendu de Kant. Kant a fait l’esprit législateur des choses, mais il a supposé en dehors de l’esprit un monde mystérieux, une réalité impénétrable : hypothèse inutile, qui rendrait inintelligible l’entente de la pensée et de l’univers, la soumission des phénomènes aux lois à priori de l’intelligence. Son audace était encore une timidité. Il n’y a pas d’une part le monde, de l’autre l’esprit, d’une part le phénomène, de l’autre le noumène ; il n’y a que la pensée qui fait tout à la fois et la vérité et la réalité des choses. La pensée, c’est l’absolu, c’est tout ce qui est, tout ce qui peut être ; ses principes et ses formes sont les lois nécessaires, universelles ; sa marche dialectique est l’histoire des choses. Qu’on n’oppose pas les antinomies : les antinomies sont des vérités qui se heurtent, mais de leur choc jaillit une lumière qui éclaire la réalité jusqu’en ses dernières profondeurs. Au-dessus de la logique de l’entendement, que domine le principe de contradiction, il y a la logique de la raison, que domine le principe de l’identité absolue et dont l’œuvre est de concilier les contraires dans une synthèse supérieure. L’entendement ne comprend pas que le fini et l’infini, le relatif et l’absolu, l’individuel et l’universel soient substantiellement identiques sans se confondre ; la raison le comprend, et elle prononce que la

  1. Tome i, p. 295-338.