Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/416

Cette page n’a pas encore été corrigée
406
revue philosophique

c’est vilain, ça, très vilain. » Ces appréciations morales sont appliquées à des actes et à des sentiments plus concrets qu’abstraits, et à ceux de ses semblables plus qu’à ceux de l’enfant. Il ne faut pas en encourager chez lui l’habitude, ni par l’approbation ni par l’exemple, car il n’est rien de plus odieux qu’un critique en bourrelet.

La manie de raisonner trop avec les enfants leur donne aussi l’habitude si charmante en apparence, mais en réalité si déplorable, de raisonner eux-mêmes avec leurs parents. Une mère dit à son fils, âgé de trois ans, d’aller porter le journal à son père, qui se trouve au fond du jardin. L’enfant, occupé de quelque besogne plus agréable, se hâta de répondre : « Mais, maman, tu veux donc que je me fatigue ? » La mère de M. Pollock me racontait dernièrement une réponse analogue de sa petite fille ; elle lui faisait une défense, à laquelle l’enfant ne se pressait pas d’obtempérer. « Quand je dis : je veux, dit la grand’mère, c’est je veux : tu me connais. » Et la petite fille de répartir : « Mais non, je ne vous connais pas du tout. » Ce sont là des réponses faites quelquefois d’un air si naïf et point malin. Nous en rions, et nous avons doublement tort : car l’enfant nous voit faire, et ce sont des tentatives plus ou moins déguisées de rébellion contre notre autorité, qui peut avoir ses tolérances, mais pas de faiblesses, qui ne doit jamais être discutée ou mise en doute.

Les exemples et les réflexions qui précèdent nous indiquent du reste qu’il faut se garder de croire l’enfant d’un an à deux ou trois ans capable de recevoir un enseignement moral autrement que l’enseignement appelé intuitif. Encore faut-il savoir s’y prendre pour lui donner celui-ci. Le rôle de l’éducation est de montrer à l’enfant où sont ses fautes. La morale théorique n’est pas à la portée de l’enfant, ni surtout au premier âge. Les circonstances tout extérieures, et les conséquences les plus immédiates, les plus saillantes de ses actes ou de ceux d’autrui, l’approbation et le blâme, les récompenses quelquefois, les avertissements souvent, les punitions modérément et rarement, voilà les seules leçons morales qui conviennent au petit enfant. Il serait très inutile de vouloir lui suggérer des jugements prématurés sur des actions qui ne sont pas à sa portée. Ne comptons pas trop sur la sensibilité pour ouvrir la porte à la raison, et ensuite sur la mémoire et l’imagination pour la rouvrir au besoin. Tout ce qu’on veut graver dans l’âme d’un enfant est écrit sur le sable, s’il n’a fait que le voir sans le comprendre. Mieux vaut descendre jusqu’à lui que d’essayer de le faire monter jusqu’à nous. Ce sont là des vérités déjà bien dites, mais toujours à redire.

J’ai vu, par exemple, une mère donner bien maladroitement une leçon de charité à son fils, âgé d’environ deux ans. Ayant aperçu un