Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/415

Cette page n’a pas encore été corrigée
405
b. pérez. — développement du sens moral

idée de s’en retourner chez lui pour aller chercher de l’argent, étaient deux imitations d’actes faits devant lui.

Encore quelques mots sur ces exemples imités et appréciés par l’enfant. Il faudrait dérober autant que possible à sa vue des actes qu’il ne doit pas imiter et laisser sans réponse les questions qu’il peut faire sur ces actes. Puis, comme en toutes choses on n’imite bien que des modèles bien nets et bien intelligibles, et d’une perfection moyenne, il faudrait que l’enfant fût placé souvent dans la compagnie de camarades de son âge, ou de très peu plus âgés que lui, et d’enfants bien élevés : on ne juge bien que ses pairs, et l’on n’imite bien que les actes à sa portée. Cette dernière considération paraîtrait plaider en faveur des salles d’asile et des jardins d’enfants : mais ce système d’éducation enfantine, outre qu’il est gâté par la routine et par l’importation d’éléments étrangers à la pédagogie, me paraît offrir, en général, l’inconvénient d’une trop grande confusion dans les actes à observer et les jugements à en tirer. La société de ses frères et de ses sœurs, et la fréquentation de quelques enfants de son âge, me paraissent préférables, à tous égards, pour le jeune moraliste de deux à quatre ans.

J’ai dit le jeune moraliste, à bon escient. À cet âge, il fait de la morale, autant et plus qu’une grande personne. Il apprécie, au point de vue moral, lui aussi, les actes de ses pareils, et même ceux des grandes personnes. Un enfant prend devant Lucien, âgé de deux ans et demi, les joujoux d’un camarade. Lucien court sur lui, d’un air menaçant, et lui crie, en fermant le poing : « Ta té un méchà : tu fais pleurer Victo ! Laisse joujou ! » Il est chez lui très tapageur et très tracassier, mais il ne peut tolérer ces défauts chez les étrangers. On l’amène visiter des garçons de son âge : ceux-ci jouent à la guerre, avec tous les engins habituels, qu’il n’a pas à la maison. Ce jeu le surprend, le rend de mauvaise humeur, et son envie et son mécontentement se traduisent par cette phrase de moraliste (on a remarqué que presque tous les moralistes étaient des gens chagrins ou malades) : « Marraine, il faut s’en aller, ces bébés font trop de bruit. » On lui donne alors des morceaux de bois, pareils aux bûchettes dont il se sert chez lui pour toutes sortes de jeux. Il se met à les manipuler, non sans trépigner et crier de toutes ses forces, et bientôt, plus tapageur que tous ses amis ensemble, il s’oublie à leur voler un sabre, une trompette et un tambour.

Voilà où en est le sens moral de l’enfant, plutôt d’emprunt et de hasard, que d’expérience personnelle et d’inductions solides. Il n’en formule pas moins, de temps à autre, quelques maximes générales, mais la plupart imitées aussi. « Faut pas mentir. Faut pas désobéir,