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l’enfant d’après les appréciations passagères qu’il fera de certains actes, comme aussi d’après l’imitation tout accidentelle qu’il pourra faire des actes d’autrui. Il n’en est souvent ni plus responsable ni plus conscient que des bonnes manières ou du beau langage qui lui sont venus de la même manière et qu’il perdra quelquefois aussi vite qu’il les a appris. Il y a dans chaque enfant un fonds personnel, fruit de l’hérédité ou des habitudes les plus familières, qui se révèle toujours, si on veut le bien observer, à travers tous ses plagiats des théories et de la pratique d’autrui. C’est là ce dont il faut le plus s’occuper, pour en atténuer ou en perfectionner les dominantes influences. Il faut aussi surveiller la reproduction fréquente des mauvais exemples, ou des appréciations vicieuses d’actes bons ou indifférents. Car l’enfant qui copie tout, le bien comme le mal, a bien vite fait de nous prendre nos jugements et notre conduite. Un enfant de trois ans va nous en fournir quelques exemples.

Son père a la faiblesse de faire toutes ses volontés. Ils passent un jour devant une pâtisserie : l’enfant demande des gâteaux. Je n’ai pas d’argent sur moi, dit-il à Joseph. Celui-ci insiste ; mais le père le prend par la main pour passer outre. — « Il me faut un gâteau, s’écrie Joseph, et toi, tu ne t’occupes pas de ça ! » Le père commet l’imprudence de revenir à la maison, pour prendre de la monnaie. Quelques jours après, un jour, il le mène voir Guignol, sur la place des Vosges. Arrivé là, Joseph tire son père par le bras et l’amène assez loin du théâtre, auprès d’un banc. « Toi, lui dit-il, viens t’asseoir là. — Qu’est-ce que tu vas faire ? — Je vais jouer. » Trois minutes s’écoulent ; le père ayant tourné la tête, l’enfant a disparu. Le père ne s’en inquiète pas. Joseph doit être à Guignol. Il va se joindre à la foule qui entoure ce spectacle en plein air, et il entend rire très fort : on riait moins de la comédie que des gestes, des cris, des drôleries de Joseph, qui s’était assis aux premières et attirait sous les regards. Quand les marionnettes ont disparu, l’enfant les cherche partout, faisant le tour de la baraque, regardant par dessous, par les fissures, leur criant de revenir. La petite demoiselle qui faisait payer les bancs vient lui demander le prix de sa place. Joseph fait je ne sais quelle réponse et quitte son banc. Il se dirige tranquillement du côté delà rue des Vosges. Son père le suit, l’observe, et le rejoint bientôt, pour ne pas le laisser exposé aux dangers de la rue. À peine l’enfant l’aperçoit-il : a Où vas-tu, père, où vas-tu donc ? Va t’asseoir là-bas. Moi, je vais chercher des sous, pour donner à la demoiselle. » Son père lui donne deux sous, et il va se rasseoir triomphalement à sa loge. Cette ruse enfantine, pour se débarrasser de son père, qui ne le fait pas asseoir dans le théâtre de Guignol, et cette