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Est-ce à dire qu’en représentant ainsi l’État comme un organisme volontaire nous méconnaissions la part de l’involontaire dans la société humaine ? — Nullement. Nous n’ignorons pas la distinction aujourd’hui de mode entre la société proprement dite, avec son caractère naturel, presque fatal, et l’État proprement dit, avec son caractère plus libre et plus analogue aux produits de l’art : l’organisme politique vient pour ainsi dire, selon cette doctrine, s’enter sur l’organisme social. Sans méconnaître ce qu’il y a de fondé dans cette distinction, nous ne saurions l’admettre sous la forme absolue qu’on lui donne, principalement en Allemagne. Il y a pour nous continuité de la société à l’État, du social au politique ; toute vraie société humaine est déjà un État plus ou moins rudimentaire ; tout organisme social ayant pour membres des consciences et des volontés est déjà un organisme politique. Nous l’avons vu, la société en tant qu’humaine commence, selon nous, là où commencent la conscience et le consentement plus ou moins implicite des membres ; ce que les Allemands appellent la société par opposition à l’État, c’est plutôt à nos yeux l’organisation végétative et animale qui subsiste dans la société humaine (car il n’y a point d’hiatus dans la nature), et qui est pour cette société ce que dans l’individu le corps est pour l’esprit, les fonctions inférieures pour les fonctions supérieures. Voilà donc une première part que nous faisons à l’involontaire : celle de l’animalité se prolongeant dans l’humanité ; encore estimons-nous que chez l’animal et dans les sociétés animales la volonté joue déjà un rôle important.

Une seconde part que nous faisons à l’involontaire, c’est celle qui est le produit de la volonté même se transformant en habitude, puis, par l’hérédité, en instinct. Chez l’individu, l’idée d’abord consciente et voulue, — par exemple un idéal désiré, un type de beauté qu’on veut reproduire, — se crée des moyens d’exécution d’abord conscients eux-mêmes et volontaires. En effet l’effort qu’exige primitivement la réalisation de l’idée est une rupture d’équilibre pour la conscience, par conséquent un changement perceptible, une perception consciente. Mais, l’effort diminuant, l’équilibre reparaît et avec lui l’identité, la continuité de la conscience, qui ne saisit plus qu’un ensemble où tout s’est fondu comme plusieurs sons dans un son total et uniforme. Si l’effort diminue ainsi, c’est parce que des voies se sont formées dans le cerveau et les organes pour les mouvements que nécessitait la réalisation de l’idée ; l’idée a donc pour ainsi dire pénétré et façonné les organes conformément à elle-même : nouvelle preuve de son action plastique. M. Spencer dirait que l’idée est devenue organique, c’est-à-dire fixée dans l’or-