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à l’eau mère. Un mécanisme analogue fait passer un type de mouvement et d’action fourni par le cerveau, et cette fois variable, aux divers membres de l’organisme ; c’est une sorte de polymorphisme. Enfin, dans la société, c’est encore une propagation plus ou moins semblable qui donne à l’organisation sociale sa forme propre ; seulement, le germe est ici une idée, un idéal social, comme si dans un liquide la cristallisation en prismes était déterminée par l’idée même du prisme, par un idéal géométrique. Une fois en voie de se réaliser, l’idée sociale va se subdivisant et se compliquant ; des groupes secondaires se forment au sein du groupe principal, des associations particulières au sein de l’association générale, et partout le moteur est une pensée commune à plusieurs individus, soit politique, soit religieuse, économique, industrielle, artistique. Chacune de ces pensées est un point de contact entre des têtes humaines et un centre d’où rayonnent des mouvements similaires dans des cerveaux divers : la même idée engendre en différents lieux la même volonté et la même action, elle s’organise, elle grandit ; peut-être, si elle l’emporte dans la lutte pour l’existence qui régit les idées comme tout le reste, la verra-t-on un jour changer les destinées politiques ou religieuses d’un peuple et, selon les paroles du poète.

Surgir le globe en main et la tiare au front.

Il résulte des considérations qui précèdent (et qui ont, répétons-le. une valeur scientifique, nullement métaphysique), que les idées en général et l’idée sociale en particulier possèdent une véritable énergie évolutive, comme l’embryon des êtres vivants. Dès lors, qui nous empêche d’accepter, en l’interprétant dans un sens nouveau, ce que M. Spencer a dit de a croissance mécanique et physique des sociétés par analogie avec celle de la plante ou de l’animal ? Ce mot de growth, qui désigne avec exactitude la part de l’involontaire et de l’inconscient dans l’organisme social (par où cet organisme est moins humain que végétatif ou animal), nous pouvons tout aussi bien nous en servir pour désigner une sorte de croissance supérieure, celle de l’idée dans la conscience. Quand la conception de la vraie société humaine passe d’un cerveau à l’autre, rapproche les pensées et les volontés, coordonne des actions de plus en plus nombreuses et complexes vers un but unique et selon un type unique, n’y a-t-il pas évolution, épanouissement, croissance d’un organisme qui, en grandissant, se voit grandir, et qui grandit même parce qu’il se voit ? La réaction de l’idée sociale sur les phénomènes sociaux antérieurement inconscients, quelque dominante et directrice qu’elle devienne, n’en continue pas moins de s’exercer selon les lois de l’évo-