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g. séailles.philosophes contemporains

à nos incertitudes ; interrogeons le passé. Inutile d’exposer la multitude des systèmes ; saisissons-les dans leur principe. C’est avec les données de ses facultés intuitives que l’esprit construit toutes ses théories ; quelles sont ces données ? Les perceptions des sens, les sentiments de la conscience, les intuitions de la raison. Donc trois espèces de matériaux, qui nécessitent trois grands types de construction, indéfiniment variés par les hypothèses du génie, par les caprices de l’imagination, par les préjugés de la pensée individuelle.

Voici d’abord les matérialistes[1]. Les sens nous suffisent : avec l’étendue et le mouvement, nous faisons le monde. Le monde n’est qu’une immense cornue de matière agitée. De la nébuleuse, masse homogène, roulant à travers l’espace dans le silence et la nuit, à ce monde du bruit, de la lumière, de la vie, de l’intelligence, il y a un abîme, si vous considérez les termes extrêmes : illusion d’optique qui s’explique par l’ignorance des intervalles lentement parcourus. La nature ressemble aux grands ambitieux, dont les étranges destinées paraissent impossibles à qui ne suit pas la progression lente mais continue de leurs succès envahissants. Le composé vient du simple, le meilleur du pire ; l’inférieur est toujours la condition et la base du supérieur, le passé du présent, le présent de l’avenir. Tout se tient, tout s’enchaîne : des différences de degré, aucune différence de nature. Rien que la matière et le mouvement, avec ses lois primordiales, attraction, répulsion, qui brisent la nébuleuse, allument le soleil, lui mettent sa couronne mouvante de planètes ; qui, dominant l’invisible comme l’immense, agitant la masse homogène jusqu’en ses dernières profondeurs, créent les corps simples, combinent ces corps, arrivent à l’organique, réussissent la cellule ; c’est la vie ; chimistes infatigables, les lois continuent leur travail : elles combinent encore, elles varient les cellules, elles créent les divers tissus, elles organisent le système nerveux ; la conscience apparaît, et les mêmes lois, combinant les sensations, créent la science, qui n’est que la face subjective des mouvements de la matière, traduits par les mouvements du cerveau.

Viennent les spiritualistes. Un système ne vaut que ce que valent ses principes. L’étendue n’est qu’une abstraction géométrique ; le vide ajouté à l’étendue, c’est l’inintelligible ajouté à l’illusoire ; la force ajoutée à la matière, c’est encore l’inintelligible, puisque c’est l’union de l’étendu avec l’inétendu. Quelle est la loi qui doit faire sortir le monde de ces abstractions ? Il y a plus dans l’effet que dans la cause. Et pour nous imposer cette loi, négation des lois de la

  1. Tome i, p. 140-199.