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et de causes : mais l’accord n’est qu’apparent ; chaque philosophe donne à ces mots un sens différent qui est le seul juste. Quand on ne sait pas où l’on va, on ne peut savoir par quel chemin s’y rendre. Chacun propose sa méthode avec la même confiance que sa définition, l’un l’induction psychologique, l’autre l’intuition, un troisième la déduction logique à priori ; le plus prudent, pour ne pas se tromper, n’en refuse aucune, les prend toutes. Aussi voyez les résultats. Après des siècles d’efforts, aucune vérité démontrée, beaucoup de systèmes abandonnés, un recommencement sans fin, rien de fait, tout à faire. Ce qui caractérise la science, c’est le progrès ; les vérités demeurent, les questions changent, et, ces questions nouvelles étant résolues, les vérités s’ajoutent en se complétant. En métaphysique, les systèmes passent, les questions restent. L’esprit ne marche pas, il s’agite. Encore semble-t-il que le génie métaphysique se soit épuisé à ces créations successives et qu’il ne puisse plus que se répéter en s’ affaiblissant. Où est notre Platon ? Pas d’objet déterminé, par suite pas de méthode, pas de principes, pas de progrès, aucune vérité acquise, de grands efforts perdus, l’épuisement de l’imagination systématique, voilà où en est la philosophie spéculative. Elle s’est condamnée par ses propres fautes, qui tiennent à sa nature même : elle doit mourir ; nul ne peut la sauver, elle n’échappera pas sa disparition étant une loi nécessaire du développement historique de l’humanité. L’esprit commence par la théologie, poursuit sa marche à travers la métaphysique pour parvenir à la science positive, qui marque son point d’arrivée. On ne résiste pas au destin, on s’y résigne[1].

L’esprit ne s’y résignera pas. Les positivistes ont raison contre les métaphysiciens, ils ont tort contre la métaphysique. M. Vacherot a la franchise des aveux nécessaires : il abandonne le passé, il veut qu’on réserve l’avenir. De l’histoire d’une science on n’a pas le droit de conclure contre cette science. Au xvie siècle, sous la plume de Montaigne, les arguments des positivistes valaient contre toutes les sciences. Rien n’est fait ; est-ce à dire que rien ne soit possible ? La métaphysique a un objet : les principes et les causes ; la réalité que manifestent les phénomènes ; Dieu, lame, la matière ; depuis Kant, elle a une méthode, la critique de l’intelligence, l’analyse de ses pouvoirs de connaître ; son progrès n’est pas encore visible à tous les yeux, il est réel : c’est le progrès intérieur d’un homme d’esprit qui fait des expériences et s’instruit par ses erreurs ; elle n’a pas résolu le problème, elle sait du moins dans quels termes il doit être

  1. Tome iii, idem.