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p. despine. — le somnambulisme de socrate

agent surnaturel ; aussi le mal affecta-t-il de plus en plus ce dernier caractère. Cette pensée trop vive, trop ardente, trop disposée à se porter à l’extérieur, à se revêtir d’un corps, à devenir une image, ou tout au moins une sensation auditive, prit en effet cette dernière forme, et alors furent tout à fait commencées les hallucinations de Socrate, c’est-à-dire l’espèce de folie la plus irréfragable. Je trouve que c’est au siège de Potidée que se manifestèrent pour l’histoire les symptômes les plus évidents de cette maladie que les auteurs traitent en général d’extase, mais que les véritables anthropologistes savent comment caractériser. Le siège de Potidée dura trois ans. Pendant l’hiver, Socrate y avait marché nu-pieds sur les glaçons, vêtu à la légère, comme d’ordinaire, ce qui étonna beaucoup ses compagnons d’armes. L’été vient, et voilà qu’un beau jour on le trouve debout dans la campagne, regardant fixement le soleil, comme font certains aliénés frappés d’incurabilité. On va, on vient autour de lui, on se le montre au doigt ; Socrate n’y prend garde. Le soir arrive ; des soldats ioniens apportent leurs lits en cet endroit, pour observer s’il passera la nuit dans la même posture. C’est ce qui eut lieu en effet, et ce ne fut que le lendemain, au lever du soleil, qu’après avoir fait un grand salut à l’astre (acte qui se rapporte probablement à son rêve somnambulique), Socrate se retira à pas lents dans sa tente, sans mot dire, et sans faire attention à ceux qui le suivaient, tout stupéfaits d’une pareille scène (n’est-ce pas là l’altitude d’un somnambule ?). Il faut nier ce fait, qui est attesté par tous les auteurs, ou bien il faut convenir que c’était là plus que le commencement d’un état que personne actuellement ne voudrait éprouver, pour toute la vertu et toute la réputation du fils de Sophronisque. »

Nous ne nous arrêterons pas à réfuter l’état de folie, de démence même qui est attribué ici à Socrate. Il est parfaitement reconnu maintenant que l’hallucination, phénomène anormal plutôt sensoriel que psychique, peut coïncider avec la sanité d’esprit la plus complète. Du reste, pour se convaincre que Socrate n’était point fou, il suffirait de citer la phrase suivante de Lélut, qui ne peut se rapporter à un fou et encore moins à un dément : « Il mourut comme il avait vécu, le plus religieux, le plus vertueux et sûrement encore le plus heureux des hommes. » (P. 86.) L’état extatique n’appartient point à la folie, ainsi que Lélut semble l’insinuer. De plus, nous pensons avoir suffisamment prouvé plus haut que l’état dans lequel se trouvait Socrate n’était point de l’extase, mais bien du somnambulisme cataleptique, lequel n’est point non plus un symptôme de folie.

Cependant une circonstance pourrait faire douter de notre manière de voir. Exposons cette circonstance, en citant encore Lélut (p. 100) : « Cette extase de Potidée, dit-il, n’était point chose isolée dans la vie de Socrate ; cet état le prenait souvent, et ses extases ne duraient pas aussi longtemps que celle que je viens de raconter et qui dura vingt-quatre heures. Il arrivait fréquemment à Socrate de s’arrêter brusque-