Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/32

Cette page n’a pas encore été corrigée
22
revue philosophique

I

Qui veut marcher en avant doit écarter les obstacles. M. Vacherot trouve d’abord devant lui les savants ou du moins ceux qui se prétendent les représentants de la science. Est-il vrai que la métaphysique soit une vieille route impraticable, encombrée de ruines et qui ne mène à rien ? Le positivisme le soutient. Voici ses raisons, sont-elles décisives[1] ? — Depuis que la science ne traîne plus le lourd poids des questions impossibles sur les essences et sur les causes, d’un pas léger d’affranchie elle s’avance à travers le monde, l’observe, le décrit et ne s’arrête plus, trouvant toujours l’espace ouvert devant elle. Les poèmes des vieux métaphysiciens sont des conceptions naines, que la réalité dépasse de toute son immensité, des rêves d’enfants, qui voient tout grand parce qu’ils sont tout petits. Le monde n’est plus la terre, la terre n’est plus une grande plaine immobile, abritée sous la voûte du ciel, comme sous un globe de verre ; elle est un atome, qui voyage à travers l’espace. L’immensité est ouverte ; l’unité de longueur est la marche de la lumière, soixante-quinze mille lieues par seconde ; l’esprit compte les distances par des années et, montant sans vertige à des hauteurs incalculées, regarde dans les nébuleuses les mondes qui se préparent. Ce n’est pas assez de prendre ainsi mesure de l’univers : la science ne dédaigne pas ce qui l’entoure ; elle sait par quelles lois sont régis les phénomènes, par quelles combinaisons régulières se constituent les corps composés, dans quelles proportions s’unissent les éléments pour former les tissus vivants, et voici même qu’elle surprend le secret de la vie. C’est à sa modestie qu’elle doit tous ses progrès : elle ne prétend pas monter dans le paradis des intelligibles ; simple mortelle, elle regarde les choses d’ici-bas. Son objet est visible à tous, nul ne le lui conteste : les faits et les lois ; sa méthode est simple, n’a rien de mystérieux : elle observe, elle induit, elle établit des lois, vérifie au contact des faits les hypothèses qu’elle imagine, ne tire des conséquences qu’après avoir solidement établi ses principes ; sa certitude est incontestée ; ses résultats s’imposent avec la brutalité d’une sensation ; elle a détruit le scepticisme absolu, en lui faisant honte de lui-même.

Par ce travail, les connaissances acquises pour toujours s’ajoutent et se multiplient. Que les métaphysiciens ne parlent pas de confusion ! on n’a jamais trop de vérités. — Mais l’esprit ne se contente

  1. La métaphysique et la science, t. i, p. 1-52. 2e édition.