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v. brochard. — de la loi de similarité

à l’autre : mais l’apparition de ces intermédiaires s’explique elle-même par la seule loi de contiguïté, et il est facile de s’en assurer.

Un philosophe américain, dont M. Renouvier a traduit et publié une très intéressante et très profonde étude[1] sur la caractéristique intellectuelle de l’homme, M. William James, admet la distinction de Bain et de Stuart Mill, et réserve le nom d’associations par contiguïté aux cas où un tout rappelle un autre tout, le nom d’associations par similarité aux cas où le rapprochement se fait au moyen d’une seule partie commune à plusieurs touts. Un exemple explique cette distinction : « Les chiens arctiques auraient, dit-on, l’esprit de s’écarter les uns des autres, avec les traîneaux auxquels ils sont attelés, sitôt qu’ils entendent la glace craquer… Les plus intelligents des chiens des Esquimaux agiraient-ils ainsi dans le cas où ils chemineraient par troupes sur la glace pour la première fois ? Non, sans doute. Eh bien ! une bande d’hommes des tropiques n’y manqueraient pas. Reconnaissant que le craquement présage la rupture, et saisissant immédiatement ce caractère partiel du phénomène, à savoir que le point de rupture est celui du plus grand effort, et que le plus grand effort s’exerce à l’endroit où les poids sont accumulés, un Hindou inférera de suite que la dispersion du train doit faire cesser le craquement, et il criera à ses compagnons de s’écarter. Mais quant aux chiens, nous sommes forcés de supposer qu’ils ont acquis individuellement l’expérience d’une liaison entre le fait d’un rassemblement de traîneaux et le fait du craquement ; entre celui de leur dispersion et la fin du phénomène. Ils s’écartent donc spontanément, parce que les bruits qu’ils entendent ramènent par contiguïté chez eux les idées des expériences antérieures et, par suite, de l’écartement qui en fait partie, et qu’ils renouvellent aussitôt. »

Assurément, il est légitime de faire une distinction entre les associations relativement simples, qui sont seules à la portée de l’intelligence animale, et les associations plus compliquées que l’on attribue à l’homme. Il ne semble pas pourtant que ces dernières soient d’une autre nature et qu’elles diffèrent des premières autrement que par le degré de complication. Si l’Hindou que l’on suppose transporté au pôle « reconnaît que le craquement présage la rupture », n’est ce pas vraisemblablement parce qu’en d’autres occasions et à propos d’objets autres que la glace, en brisant une branche par exemple, il a constaté la contiguïté dans le temps ou la succession très rapide des phénomènes de craquement et de rupture ? S’il saisit ce caractère partiel du phénomène que le point de rupture est celui

  1. Critique philosophique, 17 juillet, sqq. 1879.