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des littératures et des arts. M. Layard a trouvé sur les briques émaillées de Ninive le blanc, le bleu, le vert olive, le jaune ; le bleu y apparaît sur fond vert. Mêmes remarques sur les briques de Babylone. Il est vrai que les mêmes hommes qui en pratique distinguaient ces couleurs n’avaient pas un langage complet pour les désigner et nommaient le vert tantôt jaune, tantôt bleu. Les peintures qui recouvrent les boîtes à momies ne laissent pas subsister le moindre doute sur l’aptitude des Égyptiens à discerner les couleurs : l’emploi du rouge, du jaune, du bleu et du vert leur était familier ; on ne comprend pas qu’un pareil exemple ait échappé aux partisans de la théorie de l’acquisition récente : ces peintures sont de beaucoup antérieures aux poèmes homériques. Les poteries découvertes à Mycènes par le docteur Schliemann, et qui sont déjà préhistoriques, les pierres précieuses (quelques-unes vertes, d’autres bleues) témoignent d’un goût déjà prononcé pour la couleur. Des armes et des ustensiles d’or et d’argent trouvés dans ces tombes conduisent à la même conclusion, car ces métaux sont évidemment recherchés pour leur couleur en même temps que pour leur éclat. Un collier émaillé de l’âge de bronze trouvé dans un lac de Suisse montre des bandes jaunes et bleues sur un fond rouge. L’âge de pierre est encore assez riche en faits de ce genre, puisque beaucoup de pierres usitées comme flèches ou ustensiles sont brillamment colorées, par exemple le jaspe, l’obsidienne, le jade, le quartz rose. Des cailloux rouges ou verts sont souvent placés dans les sépultures à côté des morts. Nous atteignons ainsi l’âge paléolithique. Il faut songer que le plus grand nombre des objets servant à l’usage quotidien des hommes préhistoriques ont subi dans la terre qui nous les a conservés de telles détériorations que la plupart des preuves contraires en ce point à la théorie de MM. H. Magnus et Gladstone nous font défaut aujourd’hui. Seuls les émaux et les pierres peuvent témoigner contre elle : nous ne pouvons invoquer ni les tatouages ni les peintures d’instruments en bois ou en cuir, dont les sauvages modernes nous fournissent de si nombreux spécimens.

Restent les passages des anciens poètes où l’on a cru relever une ignorance relative des couleurs. Il ne faut pas oublier, quand on aborde cette étude, que les noms modernes des couleurs sont abstraits et que l’homme primitif, pas plus que l’enfant, ne se sert de pareils termes : les couleurs ont donc dû porter dès l’abord des noms concrets, ceux des objets types où elles se rencontrent le plus communément. Et comme les objets de la nature sont souvent colorés de teintes mélangées et changeantes, ce sont les peintures, ce sont les substances colorantes qui ont servi de type pour la