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notices bibliographiques

La synthèse finale des systèmes ramène les théories les plus diverses à « deux grandes directions » : la philosophie de la nécessité, pour laquelle la moralité n’est elle-même qu’un mode du mécanisme universel, et la volonté une illusion ; la philosophie de la liberté, qui constate au fond de l’être l’idéal, l’effort graduel vers le mieux, suspendu chez l’homme à la décision de la volonté. Entre ces deux thèses extrêmes aucune conciliation n’est-elle possible ? La philosophie de la liberté ne nie pas l’action de la fatalité sous toutes ses formes, du règne physique au monde moral ; mais ce mécanisme universel ne serait-il pas l’instrument de ce mystérieux agent qu’on appelle le progrès ? Cet idéal, dont la nature organique est l’expression fatale à différents degrés, c’est en nous l’idée même de la liberté, idée créatrice de notre personnalité. L’être de chacun ne se mesure-t-il pas à l’idéal qu’il conçoit et qu’il est capable de réaliser ? Le conflit actuel des doctrines au point de vue social, politique et moral, étant réduit ainsi au conflit des volontés, ne semble-t-il pas que le véritable absolu pour la connaissance humaine soit précisément en nous et en autrui, individuel et universel à la fois ? Et, s’il en est ainsi, le débat entre la philosophie de la nécessité et la philosophie de la liberté ne serait-il pas l’expression même du problème moral à résoudre : l’accord universel des volontés ? « La volonté, dit en ce sens M. Fouillée, en prenant conscience de sa dignité intérieure, peut seule trancher le problème relatif à l’absolu, que la pure logique n’est pas encore parvenue à résoudre. »

C’est un plaisir pour nous de constater que cette histoire de la philosophie a pris, de plein droit, une place dominante dans notre enseignement universitaire. La présente édition, succédant à celle de 1875, s’est enrichie de quelques additions attendues. Chaque chapitre se termine désormais par un renvoi détaillé aux Extraits des principaux philosophes dont M. Fouillée a fait l’utile complément de son Histoire. Pour le fond, la pensée n’a point changé : en quelques endroits, elle s’est accentuée davantage, surtout dans la partie critique. M. Fouillée condamne notamment avec plus de sévérité l’optimisme fataliste de Leibniz, dont le pessimisme de Schopenhauer et de Hartmann n’est que la parodie facile. À propos de Kant, M. Fouillée a tenté de même un nouvel effort vers la clarté sur la grave question du libre arbitre ; notre libre arbitre dépend-il bien de cette liberté nouménale qu’on appelle par antiphrase la « liberté intelligible » ? M. Fouillée élimine définitivement du domaine philosophique cette conception empruntée au dogme théologique de la grâce. La grâce est au dedans de nous, et il demande non sans raison que l’on substitue à cette philosophie du devoir fatal et inexplicable, ou de l’impératif catégorique, la conception du devoir persuasif, c’est-à-dire de l’idéal compris et accepté par l’individu.

L’ouvrage se termine par une Conclusion brillante sur l’état actuel et l’avenir de la philosophie. On y reconnaît un éloquent défenseur de la grande philosophie française, rompu à la dialectique de Kant et de