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espinas. — le sens de la couleur

trois couleurs principales lui ont été successivement révélées et lui sont apparues dans l’ordre de leur plus ou moins grande réfrangibilité : ce sont le rouge, le vert et le violet. La première phase est celle où l’œil commence à distinguer le rouge du noir. Le rouge est le premier perçu, parce qu’il est la plus lumineuse des couleurs ; mais dans le Rig-Véda le blanc et le rouge sont à peine distingués. Dans la seconde phase de son développement, le sens de la couleur devient complètement distinct du sens de la lumière. Le rouge et le jaune avec leurs nuances — l’orangé compris — sont maintenant nettement distingués. C’est à cette période que M. Magnus rapporte les poèmes homériques dans lesquels figurent le rouge et le jaune, tandis qu’aucune mention n’est faite (si du moins l’on en croit les partisans de la théorie) du vert ou du bleu. Ce qui caractérise la troisième période, c’est qu’on y apprend à reconnaître les couleurs qui, en fait d’éclat, n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre extrême, mais qui sont en somme des variétés du vert. Enfin, dans la quatrième phase de ce développement, on commence à discerner le bleu ; cette phase dure encore, et même elle est peu avancée pour certaines parties de l’humanité ; nous-mêmes, à la lumière, confondons très facilement le bleu et le vert[1].

Au risque de combattre contre des moulins à vent, M. G. Allen entreprend la réfutation définitive de cette théorie. Il trouve d’abord insoutenable du point de vue de l’évolution qu’un pareil développement ait pu se faire dans le court espace de 3000 ans. C’est par millions d’années qu’il faut compter, quand on traite de la formation des organes sensoriels dans la série animale. En second lieu, il présente les résultats de son enquête sur le sens de la couleur chez les sauvages actuels : ils sont décisifs. Les races les plus déshéritées sous le rapport des facultés intellectuelles comme sous le rapport de l’organisation physique, les Bushmen par exemple, non seulement distinguent les couleurs lorsqu’on les interroge, mais donnent, par l’usage qu’ils en font pour leur tatouage ou leurs grossières peintures, une preuve irréfutable de ce discernement. Les témoignages précis, les expériences méthodiques dont ce chapitre est rempli en rendent l’analyse impossible ; il faudrait le transcrire : la démonstration est surabondante. Mais, demande M. Allen, comment refuser aux Achéens d’Homère un sens que les sauvages les plus proches de la brute montrent si développé ? — Enfin, suivant ses adversaires sur leur terrain de prédilection, il examine à son tour les preuves d’ordre historique tirées des monuments les plus anciens

  1. (Extrait presque textuellement de l’article de M. Gladstone dans le Nineteenth Century d’octobre 1877, « Le sens de la couleur » ).