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analyses. — b. saint-hilaire. De la Métaphysique.

Métaphysique, que l’étonnement est le commencement de la philosophie. Le célèbre passage du Phèdon où Socrate raconte ses premières études et la première révélation qu’il eut de la philosophie nous donne un commentaire anticipé de celte pensée. Avant cette révélation, tout lui semblait naturel et clair. « D’où vient que l’homme grandit ? Je pensais qu’il était clair pour tout le monde que c’est parce qu’il boit et qu’il mange… que ce qui n’était d’abord qu’un petit volume s’augmente et croît, et que, de cette manière, un homme de petit devient fort grand… Je pensais de même savoir pourquoi un homme était plus grand qu’un autre homme, ayant de plus toute la tête, et un cheval plus grand qu’un autre cheval ; et sur des choses encore plus claires, je pensais que dix était plus que huit parce qu’on y avait ajouté deux, et que deux coudées étaient plus grandes qu’une coudée parce qu’elles la surpassaient de moitié… Maintenant, par Jupiter, je suis si éloigné de penser comprendre aucune de ces choses, que je ne crois pas même savoir, quand on a ajouté un à un, si c’est cet un auquel on en a ajouté un autre qui devient deux, ou si c’est celui qui est ajouté et celui auquel il est ajouté qui ensemble deviennent deux, à cause de cette addition de l’un à l’autre… Bien plus, je ne crois pas môme savoir pourquoi un est un, ni enfin, au moins par la lumière naturelle (en dehors de la philosophie), comment la moindre chose naît, périt ou existe. » Le jour où Socrate vit s’évanouir ainsi devant sa réflexion la clarté naturelle, celle de l’évidence et du sens commun, il entra dans la philosophie.

Car la philosophie n’est autre chose # que l’effort de l’esprit pour se rendre compte de l’évidence, c’est-à-dire pour éclairer peu à peu, en y descendant, mais d’une lumière artificielle et toujours instable, ce dessous infini de la • pensée, que la nature prudente nous dérobe d’abord, où se prépare pourtant la lumière naturelle, permanente, dont la conscience s’éclaire, sans se demander, que par instants, d’où elle lui vient. Disons-le hardiment, philosopher c’est expliquer, au sens vulgaire des mots, le clair par l’obscur, clarum per obscurius.

Il n’est pas étonnant que beaucoup d’esprits soient peu tentés par une besogne de ce genre et la jugent même passablement frivole. À l’aise dans la bonne lumière de l’évidence, ils s’en contentent ; c’est leur façon d’être philosophes. L’obscure clarté de la philosophie n’ajouterait rien à celle dont la nature a pris soin d’envelopper les idées et les choses qu’il leur importe de connaître, disons mieux, d’apercevoir. Ils s’arrêtent autour de ces choses, en pleine lumière, sans étonnements ni curiosités dangereuses : ils ne s’embrouillent ni ne s’égarent. Écrivains, moralistes, orateurs, gens d’esprit, honnêtes gens, observateurs délicats, collectionneurs de faits qu’ils mettent en systèmes pour l’agrément de la vue, la part reste assez belle pour eux en dehors de cette chose sévère, la philosophie proprement dite, qui se résigne à être obscure, pour être la philosophie.

Elle est obscure : cela ne veut pas dire qu’elle n’éclaire pas l’esprit ;