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que dogmatique : le fait s’explique de soi, après ce qui vient d’être dit.

Le scolastique, avec ses entités, ses concrétions logiques, était en germe dans le réalisme individualiste d’Aristote, et avec elle la théologie cartésienne, qui en est comme la réduction et la formule scientifique, condensée encore et posée en principe, dans une définition, par Spinoza. Mais qu’est-ce que cet Être-Somme, cette substance immuable et infinie ? N’est-ce pas, sous son premier nom, ce je ne sais quoi de permanent, mouvement, force ou matière, que la science, depuis Descartes même, affirme a priori comme constituant le fond de son objet ? On le voit donc, la métaphysique dogmatique, fille d’Aristote, n’est autre chose, malgré ses prétentions théologiques et morales, qu’une métaphysique de l’expérience, qu’un symbolisme concret, plus ou moins synthétique suivant les temps et les esprits, de ses postulats nécessaires. En un mot, c’est une logique transcendantale dupe d’elle-même.

Tout autre est la philosophie pour certains esprits qui, à la suite de Platon, cherchent à dépasser la nature, non en la continuant dans une autre, mais en la franchissant, pour trouver dans un ordre nouveau, librement posé, le sens moral des apparences sensibles et des apparences intelligibles, des choses et de la pensée, c’est-à-dire leur véritable explication. Pour ces esprits émancipés d’eux-mêmes, la philosophie ne fait pas double emploi avec la science : elle est vraiment une métaphysique, un mouvement au delà, un effort non pour saisir des réalités qui expliquent, bien qu’analogues, celles de la nature, mais pour comprendre d’un point de vue supérieur la loi même, c’est-à-dire la nécessité, en vertu de laquelle l’esprit pose spontanément les unes et les autres. Cette dialectique morale ne doit pas être confondue avec une philosophie qui, à l’exemple de Kant, la métaphysique repoussée d’abord dans l’ensemble, en recueille ensuite les dogmes essentiels et les dernières conclusions à titre non plus de connaissances, mais d’articles de foi morale. Il est clair que cette philosophie, bien qu’elle débute par la critique, n’est qu’à moitié affranchie de ce qu’elle condamne, puisqu’elle poursuit en somme, par une voie détournée, la même chimère que la vieille métaphysique, la réalité transcendante, et continue d’admettre implicitement comme point de départ, par suite de supposer vrai, le principe d’Aristote, que l’être objectif, réel et plein, peut seul expliquer le devenir. Si l’on se place au point de vue dont nous parlions tout à l’heure, on ne verra dans cette idée de l’être objectif (substance, chose en soi) dont l’histoire, d’Aristote à Spinoza, est celle de la métaphysique même, qu’une pure idée, qu’une de ces formes instables engendrées par l’esprit suivant de certaines lois dont le sens, la raison morale est à découvrir.

Une philosophie qui comprendrait ainsi son objet ne serait pas une métaphysique au sens ordinaire, mais une critique ou plutôt une genèse idéale de la raison pure, objective, entreprise par la raison pratique, subjective, seule vraiment à priori. Ce serait une idéologie mo-