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faite avec les expressions mômes de l’auteur rend d’ailleurs une certaine critique assez inutile. Un certain nombre de points méritent cependant d être relevés, et nous essayerons d’en dire notre avis.

Tout d’abord, si l’on ne songeait au caractère que l’auteur a voulu donner à son livre, ne s’étonnerait-on pas que toutes les réserves formulées par lui, chemin faisant, sur la philosophie d’Aristote, ne l’aient pas conduit à résumer son impression sous une forme moins exclusivement admirative ? Il y a là, en apparence au moins, une contradiction, sur laquelle il aurait été intéressant d’entendre M. Barthélémy Saint-Hilaire s’expliquer. S’il est vrai qu’Aristote s’est mépris sur le vrai sens du platonisme qu’il a si vivement traité, si sa théorie de la substance est plus logique, plus grammaticale môme que métaphysique, si l’on en peut dire autant de sa théorie des quatre causes, s’il ne reste guère à louer dans son grand ouvrage que ses théories du principe de contradiction, de la finalité universelle et du moteur intelligible, ne pourrait-on tirer de là quelques éclaircissements sur son système et sur sa personnalité philosophique ? Aristote fut avant tout un grand logicien et un grand savant. Quant au philosophe, on le caractériserait assez bien peut-être en disant que, lorsqu’il composait sa métaphysique, il faisait encore de la logique et de la science à sa manière, une science et une logique prolongées. Jamais il ne sépara nettement ces deux domaines, disons mieux, ces deux aspects du savoir humain, la science et la philosophie, si nettement séparés par son maître. Il semble que la différence des deux systèmes est là tout entière. Faute de le voir, on ne saisit bien ni la raison ni la portée des critiques d’Aristote contre une philosophie mère de la sienne, et si voisine en apparence. Mais entrons dans cette discussion.

Les idées sont-elles en dehors des choses, comme Aristote le soutient dans son interprétation du platonisme, ou dans les choses, comme l’affirme M. Barthélémy Saint-Hilaire ? Ni l’un ni l’autre peut-être, et la question de la transcendance ne se posait pas pour Platon. Le fond de sa pensée, oserait-on dire, n’était pas que les idées existent en dehors de l’esprit, dans les choses ou au-dessus d’elles, mais dans l’esprit même ; elles n’en étaient pas moins à ses yeux la vraie réalité de ces choses, leur réalité pour l’esprit, qui par elles se les explique, en les rattachant à sa nature, la nature morale. Platon n’est pas, comme les physiologues et les idéalistes qui l’ont précédé, ni comme Aristote et les métaphysiciens qui l’ont suivi, un théoricien de l’objectif, mais du subjectif : il ne fait pas une physique, c’est-à-dire une étude élémentaire des choses considérées en elles-mêmes, dans l’existence matérielle, indépendante, que la pensée leur suppose, ni une métaphysique, c’est-à-dire une explication absolue de ces choses par leurs principes également objectifs ; ce qu’il fait, c’est une dialectique, c’est-à-dire une psychologie rationnelle et morale, une étude analytique des choses dans l’esprit, de la connaissance qu’il en prend, de l’explication qu’il s’en donne, conformément à sa propre nature. Ce que sont les choses