Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée
12
revue philosophique

colorés ? Suivant M. G. Allen, la loi d’association, qu’il ne nie pas pour son compte, mais dont il estime qu’on a fait abus, ne jette aucune lumière sur cette connexion, là où il serait le plus intéressant de l’éclaircir, à savoir chez les invertébrés. Les ganglions œsophagiens des insectes ne prêtent aucun fondement à la théorie associationniste, qui requiert des masses nerveuses centrales hautement différenciées. Mais cette même connexion est bien expliquée par la théorie du plaisir présentée dans le précédent ouvrage de l’auteur. Le plaisir résultant de la stimulation normale d’un organe capable de réparer sa dépense, en d’autres termes de l’activité des organes proportionnée à l’énergie dont ils disposent, il est évident que des plexus fréquemment stimulés croîtront en volume et que la stimulation y deviendra de plus en plus facile, partant de plus en plus agréable. Il en résultera une tendance à répéter cette stimulation. Le sens une fois éveillé et développé devra réclamer un plus fréquent exercice. C’est ainsi que le discernement de la couleur s’est transformé chez les insectes visiteurs de fleurs et les oiseaux mangeurs de fruits en un goût de plus en plus prononcé. L’association a pu s’ajouter à cette cause principale chez les animaux supérieurs, mais précisément parce que chez eux de nombreuses émotions, liées à l’exercice du sens de la couleur, avaient pour substratum organique des parties volumineuses de cerveaux hautement différenciés. Du reste, l’association n’explique pas pourquoi vertébrés et invertébrés ont pris goût aux mêmes couleurs. L’association n’est qu’un effet ; la cause est ici la liaison établie entre les besoins essentiels de l’animal et les couleurs dominantes de ses aliments végétaux. C’est ainsi que s’explique la ressemblance des goûts dans, toute l’échelle animale parmi les visiteurs de fleurs et les mangeurs de fruits, qu’il s’agisse d’aliments, d’odeurs ou de couleurs, tandis que les goûts des chercheurs de chair sont tout à fait différents. La recherche des couleurs brillantes répond donc chez les vertébrés supérieurs à un besoin ancien, primitif, et le plaisir correspondant a ses racines dans les traits essentiels de son organisation héréditaire. Le même goût règne dans toute la série, plus ou moins différencié.

Ce goût a dû nécessairement réagir sur les vertébrés qui en étaient doués, et il a trouvé dans la sélection sexuelle une application favorable à son développement.

Darwin a. exposé dans son ouvrage sur La descendance de l’homme de nombreux effets de la sélection sexuelle sur les poissons. Ceux des mers tropicales ont un éclat exceptionnel ; mais cet éclat n’est pas le simple reflet des objets brillants qui les environnent : ils tranchent par la diversité de leurs teintes sur le fond