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même. Le cristal construit ses formes régulières, l’organisme vivant se réalise d’après un plan déterminé, l’animal sans réflexion accomplit toute une série d’actes admirablement appropriés à une fin qu’il atteint et qu’il ignore, dans l’esprit humain lui-même la pensée est antérieure à la conscience : que de choses se font en nous, que nous ne faisons pas ! souvent la volonté donne l’impulsion, mais le mouvement se propage sourdement, et la conscience ne révèle que la résultante d’une multitude de forces élémentaires qui se sont agitées, puis coordonnées dans l’obscurité de l’inconscient. — Mais comment le parfait, qui n’existe pas, peut-il agir sur l’infini ? comment l’idéal, avant d’exister, peut-il déterminer le mouvement de la nature ? — Cette objection, insoluble par la philosophie de l’abstraction, n’arrête plus la dialectique de l’univers en marche. La cause ne se sépare pas plus de la fin dans l’univers que l’activité du désir dans l’âme. L’esprit va sans cesse vers une existence plus compliquée et plus harmonieuse, parce que sa loi est de multiplier les idées en les coordonnant, de se développer en s’organisant. Quand l’intelligence humaine réalise le parfait en un être surnaturel, qu’il élève au-dessus du monde dans un ciel d’une inaltérable pureté, il se donne la joie d’imaginer accomplie l’œuvre à laquelle il travaille. Si M. Vacherot avait distingué plus nettement cette philosophie de la réalité, qui remplit toute sa cosmologie, peut-être, en maintenant que la perfection n’est pas actuellement réalisée, aurait-il accordé que son existence n’est pas contradictoire ? Si tous les êtres, manifestation de l’être infini, étaient en accord, si de l’équilibre de toutes les forces, de l’harmonie de toutes les idées, de l’apaisement de toutes les discordes qui sont des douleurs plus ou moins senties, sortait la paix universelle, la perfection serait réalisée. Il ne s’agit plus d’accorder et de fondre dans un être surnaturel tous les types créés par la nature : Dieu, c’est l’idéal, c’est le bien qui tout à l’heure était a fin à atteindre, qui aujourd’hui devient le moyen d’une fin supérieure. Dieu, c’est le progrès dans l’ordre ; à chaque instant de l’existence universelle, la synthèse de toutes les perfections partielles constitue ce Dieu qui aspire à s’achever et au-dessus duquel l’espérance élève toujours un nouveau Dieu. S’il en est ainsi, si le mouvement de la nature n’est une dialectique que parce qu’elle est esprit, si l’intelligible exprime l’intelligence, si la pensée de l’homme n’est que la conscience de l’universelle pensée se saisissant dans son être et dans ses lois, pourquoi la perfection en laquelle seule nous trouvons le repos et la paix dans la certitude serait-elle impossible ? ne faut-il pas reconnaître dans le sentiment religieux sous toutes ses formes, dans le mécontentement de l’esprit qu’aucun ordre ne satis-