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laquelle il tient le plus. Il invoque en faveur de cette théorie son expérience personnelle et affirme que, pendant ses voyages en Europe, dans le nord de l’Amérique et dans les Indes, dans ses visites aux jardins zoologiques et aux musées, dans ses lectures, la coïncidence en question n’a pas cessé de le frapper. On sent qu’il a besoin de se rassurer lui-même autant que de convaincre son lecteur. Ne serait-ce pas parce qu’il a conscience d’avoir été sous l’empire d’une idée préconçue, et d’avoir accordé sans le savoir plus d’importance aux faits favorables qu’aux faits contraires ? Ceux-ci sont nombreux ; il ne les ignore pas et les cite avec une grande loyauté ; mais il les a sans doute rencontrés tardivement, alors que l’idée favorite avait déjà acquis une force irrésistible. Ils ont suffi pour lui inspirer quelque hésitation, non pour l’ébranler tout à fait. Nous allons les passer en revue, sans omettre de discuter les raisons qu’il nous donne pour nous les faire envisager comme autant d’exceptions.

Prenons seulement nos précautions contre une échappatoire à laquelle l’auteur a recours assez souvent ; quand il rencontre un animal qui ne vit ni de fleurs ni de fruits, mais se nourrit de poissons par exemple ou d’insectes, il revendique le fait comme un argument en faveur de sa thèse. Il ne s’aperçoit pas qu’en agissant ainsi il change du tout au tout la thèse elle-même, qui prend la forme suivante : Tout animal coloré se nourrit d’aliments colorés. Mais la proposition ainsi transformée est d’une fausseté évidente ; il faudrait, pour qu’elle fût vraie, que l’on pût toujours, en descendant l’échelle des mangeants et des mangés, arriver à une partie de végétal peinte d’une vive couleur. Or ce sont au contraire des matières obscures et sans couleur définie qui servent à la nourriture de la plupart des animaux intérieurs. Même sans descendre au bas de l’échelle, beaucoup d’insectes carnassiers et d’oiseaux insectivores ou piscivores se nourrissent indifféremment d’espèces brillantes et d’espèces ternes, celles-ci, qui sont en proportion dominante, devant nécessairement l’emporter sur les autres. Cette réflexion faite, nous abordons les cas particuliers.

Comment se fait-il d’abord que la couleur soit aussi répandue dans l’ensemble des organismes marins inférieurs ? Quelques-uns, les animaux de mer, des échinides, des méduses, des ascidies, des coraux, etc., sont revêtus des teintes les plus éclatantes ou les plus fines. On peut bien admettre que dès l’apparition des sexes le goût pour la couleur en favorise le développement ; mais son existence en de telles proportions là où les sexes ne sont pas encore séparés tendrait à faire croire que la sélection sexuelle n’est qu’un adjuvant, là même