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espinas. — le sens de la couleur

rent totalement des nôtres, mais à M. Allen, qui admet l’uniformité des perceptions élémentaires dans toute la série zoologique, à partir du moment, bien entendu, où les organes spéciaux apparaissent. Si la réponse est affirmative, comme cela paraît inévitable, il est possible que les insectes supérieurs aient perfectionné le sens de la couleur ; mais on ne peut plus douter que ce sens ait existé à un haut degré bien auparavant.

M. Allen se défend d’invoquer la loi d’association pour expliquer l’origine des plaisirs que ce sens procure aux animaux comme à l’homme. Il n’en est pas moins vrai que, selon lui, la cause excitatrice, qui transforme le sens de la couleur en un goût pour la couleur, c’est le souvenir et l’attente des perceptions sapides éprouvées par les insectes en puisant le nectar des fleurs, par les oiseaux en picorant les fruits. Sans cette relation, ni le sens ne se serait élevé au delà de perceptions obscures, ni le goût ne se serait déterminé pour les teintes brillantes plutôt que pour les teintes indécises : l’un et l’autre seraient restés à l’état rudimentaire ; les plaisirs esthétiques de cet ordre ne se seraient pas développés dans le règne animal. Eh bien, nous ne croyons pas qu’il soit conforme aux données générales de la biologie de greffer ainsi l’évolution d’un sens sur celle d’un autre ; que tous les sens se soient différenciés à partir du toucher, c’est ce qui n’est plus douteux ; mais personne n’a émis l’opinion que l’ouïe par exemple ait dû emprunter le secours de la vue ou réciproquement pour que l’un ou l’autre atteignissent leur développement actuel. Si les êtres organisés supérieurs aiment la couleur, c’est parce qu’ils aiment la lumière, M. Allen l’a bien dit[1] ; mais, s’ils aiment la lumière pour elle-même, pour elle-même aussi ils doivent aimer la couleur, et les plaisirs du palais n’ont rien à faire dans la multiplicité et l’intensité croissantes de leurs émotions visuelles. L’évolution des fonctions et des sentiments correspondants a dû être distincte, comme celle des organes.

C’est en vain que l’auteur se déclare très éloigné de faire pour sa théorie le plus léger emprunt à la philosophie de l’association. Plus il s’efforce de persuader au lecteur qu’il se passe d’elle, plus le lecteur reconnaît qu’elle est là tout entière. « Je ne veux pas dire que ces couleurs seront associées mentalement avec la recherche de la nourriture, car, bien que tel soit le cas sans aucun doute, ce fait ne suffirait pas en lui-même à expliquer le plaisir produit ; mais je

  1. « C’est sans aucun doute à leurs qualités lumineuses plus hautes que les rayons rouges et orangés doivent cette acuité, cette force qui est un de leurs caractères distinctifs. Ils peuvent être considérés comme s’approchant le plus près à cet égard de la lumière directe totale. » (P. 227.)