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espinas. — le sens de la couleur

Au lieu de la subordonner aux variations originelles, sans lesquelles toute occasion d agir lui serait refusée, il fait dépendre d’elle les variations elles-mêmes. Tandis que nous dirions que les oiseaux, par exemple, et les insectes se servent de leur couleur comme d’un attrait, parce qu’ils sont brillamment colorés, il pense que les uns et les autres sont brillamment colorés parce qu’ils ont fait montre de leur plumage avec succès. À notre avis, c’est trop accorder à la sélection, qui, si elle peut accumuler les effets des processus physico-chimiques et leur imprimer une direction déterminée, reste radicalement incapable de les produire. Envisagée autrement, elle ne serait qu’une restauration de la finalité[1].

Un goût pour la couleur qui serait primitif pourrait donc difficilement produire de tels effets ; que dire d’un goût pour la couleur acquis d’une manière en quelque sorte accidentelle, comme celui que M. Allen attribue au commerce des insectes avec les fleurs et des oiseaux avec les fruits ? De son aveu, le goût pour la couleur n’est qu’une spécialisation du goût qu’a toit organisme voyant pour la lumière en général. Comment, alors que le goût pour la lumière est, si je puis employer ce mot, inné à tout organe visuel, comment le goût pour la couleur, qui n’en est qu’un dérivé, a-t-il besoin pour naître d’une excitation étrangère, provenant du sens du goût ? Il y a eu un moment où les Heurs n’existaient pas et où les insectes supérieurs n avaient pas encore apparu : à ce moment, les invertébrés en général étaient-ils sensibles à l’attrait de la lumière ? M. Allen n’hésite pas à affirmer qu’ils l’étaient. 11 va plus loin ; c’est lui-même qui nous fait remarquer que cette sensibilité, tout obtuse qu’on la suppose, ne pouvait discerner les quantités diverses de lumière renvoyées par les différents corps sans discerner en môme temps à quelque degré les qualités de cette lumière, c’est-à-dire la nature des rayons réfractés, c’est-à-dire encore la couleur (p. 15). Car, il le dit expressément, les différentes couleurs stimulent à divers degrés l’organe de la vision. « L’intensité lumineuse du rouge, 4e l’orangé, du jaune est considérablement plus grande que celle du vert, du bleu et du violet » (p. 227). Il faut donc admettre qu à mesure que l’atmosphère se débarrassait de ses épaisses vapeurs et se purifiait de la masse d’acide carbonique qui s’y trouvait mêlée[2], à mesure que le soleil devenait moins volumineux et plus brillant, le sens de la couleur se développait chez les animaux, indépendam-

  1. Ces lignes présentent une légère correction de ce que nous avons dit de la sélection sexuelle à la page 291 de nos Sociétés animales.
  2. Voy Oswald Heer, Le monde primitif de la Suisse, trad. française, p. 21, 41 et 102.