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espinas. — le sens de la couleur


III


Nous sommes amenés par ces réflexions préalables à envisager la doctrine dans son ensemble. En somme, la cause invoquée est une cause psychologique, agissant de concert avec la sélection sexuelle. Étant donné le goût des deux sexes pour la couleur en général, ceux qui ont le plus de chances de laisser une postérité sont les plus brillants. Cette démonstration est acceptable, supposé que les animaux aient une tendance à se revêtir de vives couleurs ; la sélection sexuelle ne peut pas faire plus que la sélection naturelle, elle ne peut produire la couleur, son rôle est d’accumuler les tendances à la coloration, si légères qu’elles soient, partout où elles se produisent. Dès lors, M. Allen est obligé de recourir à quelque autre cause pour compléter sa doctrine. Ce sera la nourriture, ce sera l’activité vitale, ce sera l’action de l’environnement sur le système nerveux ; mais de toute façon la théorie sera remplacée par une autre ou du moins perdra de l’importance que l’auteur lui accorde. La véritable explication de la couleur se trouvera dans des lois chimiques et psycho— physiologiques, et le phénomène psychique sur lequel repose toute la construction ne jouera plus qu’un rôle effacé.

Il y a lieu d’insister sur cette objection, qui nous paraît capitale. Un insecte aura beau rechercher le bleu ou le vert avec passion ; si une cause chimique ne produit pas du bleu ou du vert dans les téguments de son semblable de l’autre sexe, son choix ne trouvera pas de matière où s’exercer. On a bien pu jadis admettre que le désir était la cause de certaines modifications dans l’organisme de l’individu qui éprouve ce désir ; mais on ne saurait prétendre qu’il produit une modification dans l’organisme de la femelle quand c’est le mâle qui l’éprouve, ou réciproquement. Maintenant, suffira-t-il que la cause chimique agisse un certain nombre de fois ? Il est évident que l’action chromatique devra être permanente, sans quoi le développement de la couleur serait arrêté dans son cours. La vraie cause, la cause primitive et permanente de la coloration, ne sera donc ni le goût de la couleur, ni la sélection sexuelle. Ces agents ne pourront tout au plus que favoriser la prédominance de telle ou telle couleur sur les autres, quand plusieurs couleurs se produisent à la lois sur les téguments d’un insecte ou d’un oiseau sous l’influence des causes signalées plus haut. Mais, pour que la sélection sexuelle agît d’une manière conforme à la théorie de M. Allen, il faudrait qu’elle donnât la prédominance à la couleur des aliments favoris, ce qu’elle ne fait encore une fois en aucune façon.