Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/179

Cette page n’a pas encore été corrigée
169
delbœuf. — le sommeil et les rêves

dans leurs processus périodiques, offrent vraisemblablement une évolution analogue. La réparation du germe est précédée et suivie d un état de confusion et d’union des éléments constituant le noyau. Le noyau est le support de L’individu ; c’est autour de lui que viennent se déposer les couches de formation, qui à la longue s’identifient avec lui en y ajoutant de nouvelles propriétés, de nouvelles tendances, de nouvelles aptitudes.

Où est le siège de ce noyau ? Il serait aujourd’hui difficile de le déterminer. Il est plus que probable qu’il est dans le cerveau et en union intime avec les organes de la génération Mais ce problème est au-dessus de la science actuelle. La nutrition et la génération donnent à la matière sensible une vraie immortalité. Chez l’individu, la faculté assimilatrice a un terme, la mort. La mort arrive ordinairement, du moins chez l’espèce humaine, après une longue période où la puissance d’assimilation est considérablement ralentie, et, on peut le dire d’une manière générale, ce ralentissement coïncide presque toujours avec l’arrêt de la faculté génératrice. Mais cette disparition de l’individu est illusoire ; il se retrouve, non pas métaphoriquement, mais en réalité, dans ses descendants. Eût-il même été stérile, que son action n’aurait pas été perdue et qu’elle se retrouverait dans son entourage, qui, lui, est fécond. C’est d’ailleurs ce qui advient des forces accumulées par l’homme après l’âge mûr. Et enfin si, poursuivant la difficulté jusqu’au bout, on se demande ce que deviennent les puissances acquises par un solitaire, qu’on songe combien que nous connaissons le mode d’action de la nourriture. L’homme se nourrit de bœuf et non d herbe, et pourtant la chair de bœuf n’est que de l’herbe élaborée d’une certaine façon. Cette élaboration est-elle perdue quand le bœuf est enfoui dans le sol ?

Si, du point où nous sommes arrivés, nous prenons une vue générale de la lutte pour l’existence dont ce monde est le théâtre, on voit qu’elle a pour résultat suprême de concentrer toutes les forces psychiques des êtres, de réunir en flambeaux les étincelles d’intelligence et de raison qui luisent dans le plus humble individu sensible et de les faire servir, en dernière analyse, aux manifestations les plus compliquées de la vie rationnelle dans la race humaine, laquelle peut-être ne fait à son tour que préparer des éléments destinés à être mis en œuvre par une race supérieure. L’univers entier se meut vers la pensée. C’est le plus intelligent qui est destiné à survivre[1].

J. Delbœuf.
  1. C’est à cette même conclusion que j’ai abouti dans mon article sur Une loi mathématique applicable à la théorie du transformisme (Revue scientifique du 23 janvier 1877).