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duction de chaleur. En sorte que la quantité de chaleur va s’accroissant sans cesse aux dépens de la quantité de mouvement. Il y a un flux nécessaire des choses, sans doute ; mais ce flux est toujours dans le même sens. L’existence de l’univers s’écoule entre deux termes : au début, mouvement sans chaleur[1] ; à la fin, uniformité de chaleur sans mouvement. De ces deux termes, que la pensée conçoit d’une certaine façon, l’un, il est vrai, n’a jamais été réalisé, l’autre ne le sera jamais, ou — pour me servir du langage mathématique — l’un remonte à un temps infini dans le passé, l’autre arrivera après un temps infini dans l’avenir ; mais cela n’empêche pas que le mouvement est rendu de jour en jour plus difficile, et qu’une époque viendra fatalement où il sera imperceptible[2].

Et qu’on ne croie pas élever des objections victorieuses en invoquant l’infini de l’espace et du temps. Qu’on ne vienne pas dire, par exemple, que la quantité de mouvement est peut-être infinie, et qu’elle est, par suite, inépuisable. D’abord le mot infini n’a pas de sens. Mais, eût-il un sens, il s’ensuivrait, puisque le mouvement se détruit de lui-même, que la cause de destruction, agissant partout où il y aurait du mouvement, serait, elle aussi, infinie. Un consommateur qui aurait une provision de bougies infiniment grande n’en viendrait certes jamais à bout. Mais, s’il y a une infinité de consommateurs dont chacun allume une bougie, la provision, tout infinie qu’on la suppose, ne durera que quelques heures. Dans tous les lieux de l’univers, les différences s’aplanissent inévitablement, et un temps arrivera où ces différences seront tellement faibles, que toute la surface en sera comme nivelée, et que le mouvement de descente d’un côté, de montée de l’autre, ressemblera, à s’y méprendre, à l’immobilité.

  1. C’est ainsi, du moins, que je me représente l’état initial de l’univers, et je soumets cette idée à l’examen des hommes plus compétents que moi dans ces hautes spéculations physiques. Pour réaliser, par rétrogression, un semblable état, il faudrait que tous les mouvements vibratoires que l’on désigne sous le nom de chaleur, électricité, etc., fussent transformés en mouvements de translation. Alors chaque molécule serait animée d’un mouvement propre et indépendant du mouvement des autres molécules. — Le lecteur ne doit pas perdre de vue que l’introduction de l’infini dans une formule mathématique est le signe d’une impossibilité. Dire qu’un état déterminé a existé il y a un temps infini, c’est dire qu’il n’a jamais pu être. Et en effet, s’il avait été réalisé alors, il le serait encore aujourd’hui, car l’infini ne s’épuise pas.
  2. Le lecteur, curieux de mieux pénétrer les considérations mécaniques sur lesquelles cette conclusion s’appuie, lira avec fruit et intérêt un discours sur le commencement et la fin du monde, d’après la théorie mécanique de la chaleur, par M. F. Folie, membre de l’Académie de Belgique. Ce discours est inséré dans les Bulletins de cette compagnie, 2e série, t. XXXVI, n° 12, décembre 1873.