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espinas. — le sens de la couleur

lages et des pousses. La fécondation des plantes par le vent introduisit une première différenciation au sein de cette uniformité. Les plantes disposèrent aux endroits qui offraient le plus de prise au souffle de l’air des organes de dissémination et de réception volumineux, qui, ne contenant pas de chlorophylle, — puisqu’ils ne prenaient pas part au travail de la végétation et profitaient de l’énergie accumulée par les feuilles, — s’écartaient plus ou moins de la coloration générale. Les plantes douées de tels organes obtinrent un avantage et se multiplièrent d’autant : la fécondation croisée donna à leur végétation une impulsion vigoureuse. Mais cet avantage ne fut pas obtenu sans compensation ; une énorme dépense d’énergie dut être consacrée par elles à la formation des appendices florifères et des quantités immenses de pollen que nécessitait ce mode de fécondation : on sait que les forêts de conifères sont jonchées de couches épaisses de poussière pollinique que le vent soulève et fait retomber souvent en pluies abondantes. Il fallait aviser à produire le même résultat avec une dépense de forces moindre : les insectes se chargèrent d’y pourvoir.

Le pollen était pour eux (ou pour leurs ancêtres non différenciés encore) un aliment des plus séduisants. Sa douceur, son haut pouvoir nutritif leur offrait un vif attrait. Des sécrétions sucrées ne tardèrent pas à s’y joindre dans les fleurs de l’un et de l’autre sexe ; et l’on sait à quel degré le sucre stimule le goût chez toutes les espèces animales. Les insectes se mirent donc en quête de Heurs à explorer ; ils portèrent ainsi, des fleurs mâles aux fleurs femelles, le pollen suspendu à diverses parties de leurs corps, et les plantes qui bénéficièrent de ce transport direct purent dès lors se reproduire avec une dépense beaucoup moindre de matière fécondante : elles eurent en outre plus sûrement les avantages de la fécondation croisée. Il s’agissait maintenant d’attirer du plus loin possible leurs auxiliaires errants vers les réserves de nourriture qu’elles leur avaient préparées. Supposé que les insectes aient été doués d’un organe visuel seulement rudimentaire, si les fleurs parvenaient à trancher en clair sur le fond sombre de la verdure, elles frapperaient ainsi leur attention, et bientôt, comme le discernement des couleurs lointaines serait pour eux une faculté des plus profitables, elles détermineraient en eux par la sélection une aptitude de plus en plus marquée à les discerner. Souvenons-nous ici que les fleurs des conifères et des plantes anémophiles en général montrent déjà, bien que n’ayant rien à faire avec les insectes, une tendance à la différenciation des couleurs dans leurs fleurs et leurs fruits. Cette tendance dépend de la loi générale suivante : si l’on admet avec tous les botanistes qu’il, y