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delbœuf. — le sommeil et les rêves

sième. Ce nom, qui avait disparu de mes souvenirs, s’y grave d’une manière indélébile à partir de la nuit où j’en ai rêvé. Il semblait effacé, et voilà que de lui-même, en dehors, on oserait le dire, de toute action extérieure qui serait venue recreuser les caractères, il reprend vigueur et couleur et se fait dans mes souvenirs une place, que d’autres noms, qui le mériteraient mieux, sont loin d’avoir. Il y a eu là une action cumulatrice, quelle en est la source ? Ceci m’amènera à parler de la logique et de l’incohérence des rêves. Tel sera l’objet du second article.

Le sujet a, comme on le voit, d’assez grandes proportions. Aussi, c’est un essai que j’offre au lecteur bien plutôt qu’un traité. J’apporte mon tribut à la théorie de la mémoire ; rien de plus. Cette théorie, quoi qu’on en puisse croire, n’est pas encore achevée. Si mon étude n’a même d’autre résultat que d’en signaler l’insuffisance, mon ambition pourra s’estimer satisfaite.


LA MEMOIRE CONSERVATRICE

Cette section de mon travail comprendra deux chapitres.

Dans le premier, je remonterai à la cause de la persistance des impressions pendant tout le cours de la vie individuelle.

Mais quelques impressions — sinon toutes — ont une persistance plus prolongée, qui se continue dans la descendance immédiate, et parfois dans la descendance éloignée de l’individu sous forme d’aptitudes ou de prédispositions ; un certain nombre même se perpétuent à travers la série entière des générations et acquièrent ainsi la valeur d’un caractère spécifique. Je rechercherai dans le second chapitre la raison dernière de cette transmission de persistance.


la fixation de la force et la mémoire dans l’individu

I. — Le principe de la conservation de la force.

Rien ne se perd dans la nature, ni un atome de la matière, ni un moment de la force[1]. Cette proposition est passée à l’état d’axiome et est devenue tellement banale qu’on n’ose presque plus l’énoncer. Beaucoup se flattent de la comprendre et la comprennent sans doute à leur manière. Quant à moi, je ne la saisis pas bien, et je ne suis pas éloigné de la déclarer fausse. Qu’est-ce donc que le passé, qui n’est plus et qui ne reviendra plus ? Qu’est-ce donc que l’avenir, qui n’est pas encore, mais qui deviendra irrévocable-

  1. Pour parler le langage rigoureusement géométrique, je devrais dire moment virtuel.