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blème de l’erreur et à « refaire » la IVe méditation. Pour le fond, M. Brochard a tenté de la refaire, car il n’adopte qu’une faible partie des conclusions cartésiennes. J’aurais aimé qu’il la refît pour la forme et qu’il nous donnât une méditation à son tour.

En suivant cette méthode, M. Brochard eût peut-être inverti l’ordre des chapitres et débuté par « l’analyse de la croyance ». À cela, le livre aurait encore gagné, ce nous semble. Dans son premier chapitre de la IIe partie, M. Brochard termine en reconnaissant que, « par rapport à nous, la vérité est absolue. » La formule est ingénieuse et résume bien le chapitre. Mais que devons-nous entendre par là ? Que signifie « par rapport à nous » ? Apparemment : « par rapport à nous, en tant que pure intelligence. » Voilà que plus loin nous allons apprendre que l’homme envisagé ainsi n’est qu’une abstraction, qu’il n’est jamais désintéressé dans ses affirmations, que toujours l’entendement se trouve en présence du sentiment, de la volonté et que l’acte d’affirmer n’est possible que par le concours de ces trois fonctions. Que devient alors cette conclusion provisoire dirigée contre les sceptiques : « par rapport à nous, la vérité est absolue ? » Les sceptiques vont avoir beau jeu et répliqueront : « Mais toute certitude est croyance, vous le dites vous-mêmes, la croyance est un acte volontaire, donc jamais la vérité ne nous impose absolument son autorité. Voilà votre thèse, c’est aussi la nôtre. » Il nous paraît que M. Brochard eût évité cette contradiction apparente en se plaçant résolument et dès le début en face de la croyance.

Au surplus, M. Brochard pouvait-il craindre de faire au scepticisme la part trop belle, quand il se réservait de marquer profondément la différence qui sépare les sceptiques et les adeptes de la philosophie critique ? Cette différence peut se résumer ainsi. Pour répudier le scepticisme une chose suffit au philosophe criticiste : vouloir. Il douterait toujours s’il poursuivait le fantôme insaisissable d’une vérité qui vous étreint malgré vous et vous dompte par sa seule force ; la seule force capable de vaincre le scepticisme, c’est la volonté libre. Le criticiste le sait. À ses yeux, la certitude est « une assiette morale » [1].

Les dogmatiques seuls se révolteront contre la thèse de M. Brochard, et c’est leur droit ; car c’est pour eux, je veux dire contre eux, que l’auteur a écrit.

Lionel Dauriac.

Froschammer. Monaden und Weltphantasie. Les monades et l’imagination comme principe du développement du monde, 181 pages in-8o. — Sur le rôle de l’imagination dans la philosophie de Kant et de Spinoza, 1879, 180 p. in-8o.

Nous avons rendu compte dans cette Revue du livre de M.  Fros-

  1. Cf. Renouvier, Deuxième Essai.