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analyses. — a. fouillée. L’idée du droit.

questions scientifiques et de méthode. Dans la littérature philosophique, très riche assurément, de ces dix dernières années, quelle part revient aux théories morales, en France tout au moins ? On peut citer la Science de la morale, une œuvre de premier ordre, il est vrai ; et la. Morale de M. Janet, dont le talent souple et ingénieux soutient sur tant de points à la fois l’honneur de l’enseignement universitaire. Ce n’est pas assez, surtout dans le silence des écoles socialistes et à l’heure où notre pays a dû résoudre pratiquement, à ses risques et périls, le problème fondamental de la morale politique. Le nouveau livre de M. Fouillée est donc le bienvenu. Il est pour tous un avertissement qu’il y a lieu de revenir à la propre science de l’homme ; et, de sa part, il est une promesse. M. Fouillée nous donnera, il commence de nous donner[1] un cours de droit social et politique. Le présent ouvrage n’est qu’un livre de préliminaires, où. l’idée du droit, présentée comme l’idée morale elle-même, est considérée dans son principe, non dans ses applications ; elle reste donc partiellement indéterminée, et la théorie même paraîtra fragile, tant que l’auteur n’y aura pas rattaché une théorie complète du devoir social. On va en juger. — Est-il utile auparavant d’avertir que l’auteur de la thèse sur la liberté et le déterminisme se retrouve ici avec ses mêmes qualités de pensée et de style, et avec un art plus simple et plus populaire ? L’organisation systématique des idées y témoigne d’une invention aussi ingénieuse ; mais le vol de la pensée, retenue à dessein plus près de terre, est plus facile à suivre. En lisant ces pages aux grâces négligées et pénétrantes, on tombe peu à peu sous le charme, sans songer à s’en défendre ; on ne remarque pas les liens subtils qui vous enlacent, et l’on est entraîné, séduit, sinon convaincu, jusqu’à la conclusion d’une éloquence si élevée, quoique toujours simple, épanchement naturel d’une belle imagination, où quelques lecteurs privilégiés pourront ressaisir l’accent de cette parole enchanteresse qu’ils ont applaudie jadis à la Faculté des lettres de Bordeaux [2]. Comment analyser ce charme qui se dégage d’une heureuse spontanéité intellectuelle ? El cependant ce n’est pas tant la matière de l’œuvre et la vérité objective des idées qui font le mérite du penseur, que le don qu’il a d’animer le langage, le jaillissement de la pensée, l’émotion intérieure, et comme le battement de l’âme : voilà ce qu’il faudrait saisir et rendre pour donner une idée exacte de toute œuvre sur laquelle a passé le souffle de l’art. La tâche ici est plus simple ; il ne s’agit que de dégager la charpente du système du revêtement qu’elle supporte, et de présenter la théorie dans sa sèche nudité.

I. M. Fouillée aime les systèmes, et c’est un des traits par lesquels il se distingue, quoi qu’on ait dit, de l’éclectisme français. Il ne se

  1. Voir Revue des Deux-Mondes, année 1879.
  2. Pendant son court passage à la Faculté de Bordeaux, M. Fouillée avait exprimé les idées qu’il reprend et développe aujourd’hui.