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ANALYSES. — DESPINE. De la Folie.

térise la folie, ce n’est pas une lésion cérébrale, mais un état de l’esprit : on peut présenter les lésions cérébrales que l’on rencontre dans la folie, sans être fou. Ensuite, Esquirol a le tort de considérer la folie et l’aliénation mentales comme des choses synonymes, de désigner sous le nom de folie l’ensemble des désordres mentaux. Pour M. Despine le mot folie a un sens plus restreint : « il ne s’applique qu’à l’aliénation mentale dans laquelle les facultés morales sont seules altérées, les facultés intellectuelles restant intactes. » Nous ne reprocherons pas à M. Despine de n’avoir traité qu’une espèce d’affection mentale ; on a le droit de restreindre son sujet ; mais nous croyons qu’il est fâcheux d’ajouter une nouvelle signification à un mot qui en a déjà tant d’autres. Admettons pourtant que les définitions sont libres, et donnons celle de M. Despine.

« La folie, dit-il, consiste dans l’aveuglement moral involontaire de l’esprit à l’égard d’idées fausses, absurdes, immorales, irrationnelles, et de penchants bizarres, pervers, inspirés par des passions ; aveuglement causé par l’absence des caractères rationnels, seuls capables d’éclairer l’esprit sur la nature de ces idées et de ces penchants, c’est-à-dire par l’inconscience morale à leur égard. » Ce qui veut dire en d’autres termes que la forme de l’aliénation mentale « qui mérite spécialement le nom de folie est celle dans laquelle les facultés morales sont seules atteintes, les facultés intellectuelles proprement dites restant intactes, ce qui permet à l’aliéné d’avoir des idées délirantes suivies et même logiquement enchaînées. » Si maintenant nous cherchons à quels groupes, dans les classifications habituelles des aliénistes, correspond ce que M. Despine appelle folie, nous voyons que ce sont les désordres mentaux connus sous les noms de monomanie et de lypémanie.

Ces divers états morbides ont tous un fond commun ; ils sont produits par les passions. Quelle que soit la forme de leurs manifestations intellectuelles ; quelles que soient les conceptions délirantes, ce qui importe, c’est le point de départ : « les idées ne sont que la superficie de la folie ; elles sont le fruit de la plante et non la plante elle-même. » Ce n’est point la passion seule qui fait la folie ; il faut que cette passion absorbe complétement l’esprit, qu’il y ait « aveuglement moral» à son égard, comme dit l’auteur.

M. Despine a consacré plus de 200 pages à analyser les divers modes de folie, à montrer que ce qui les caractérise ce n’est point la lésion de l’intelligence, mais la lésion des facultés morales. Un homme se croit le père Adam, c’est une passion orgueilleuse. Un homme se croit damné, mangé par la vermine, c’est une passion triste. D’autre part, on peut être fou sans présenter aucun trouble de l’intelligence. L’intelligence fonctionne régulièrement, étant donné le point de départ, et dans les monomanies, lypémanies, c’est une passion qui fournit de fausses prémisses aux opérations intellectuelles.

Quant à la cause de la folie, M. Despine la place dans un état mor-