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canisme. L’origine du mécanisme était le Dieu chrétien. Quant à l’âme, il en faisait une essence à part, immatérielle.

« Spinoza est le père du monisme. Le monde, le tout, est Dieu : avec deux propriétés, l’étendue et la pensée. Il est plus que vraisemblable que le grand penseur garda le concept de la divinité, uniquement pour moins choquer ses contemporains. Singulier Dieu que le vôtre, pourtant, eût-on pu dire aux spinozistes, qui, en même temps, recommande la vertu par la bouche de Socrate ou de Marc-Aurèle et scandalise la création par le délire de Néron, Héliogabale et Caligula !

« Leibniz est le théoricien de l’individualisme et le créateur de la Monadologie. Mais l’analyse de sa pensée la plus profonde se heurte au dualisme, dans lequel il est prisonnier. Ses monades sont en effet tantôt des centres de force, tantôt des centres psychiques.

« Pour Kant, le monde est représentation. Le moi l’unit aux deux formes sensibles de l’intuition, le temps et l’espace, qui sont purement idéales. En dehors de nous, il n’y a que des forces qui agissent sur le Moi, et composent le contenu expérimental de la connaissance.

« La pensée de Schopenhauer proclame hautement : toute force est volonté. La force est l’essence de la nature, du monde, de tout, la vraie métaphysique transcendantale, la chose en soi[1]. »

Tels sont les précurseurs : non cependant que leur pensée soit tout entière acceptée ; elle passe par le contrôle du monisme. Descartes, de la sorte, n’est admis que pour deux des vérités qu’il a découvertes, le « je pense, » et la loi du mécanisme. Une plus belle part revient à Spinoza qui a trouvé la loi fondamentale : l’unité, et les deux attributs de l’être. À Leibniz, le monisme doit les monades ; à Kant, les lois de la pensée ; à Schopenhauer, la notion de la volonté. Une substance unique, douée de mouvement et de volonté : telle est, en effet, la conception première du monisme.

Il absorbe ainsi les deux systèmes qui, depuis l’origine de la haute spéculation, se font la guerre t ni spiritualiste, puisqu’il admet la matière et le mouvement, ni matérialiste, puisqu’il reconnaît l’esprit et la volonté, il s’élève à l’idée supérieure du monde, qui contient en lui tout ensemble les deux réalités, réputées inconciliables, entre lesquelles trop longtemps s’est partagée la philosophie. Non qu’il en fasse simplement, comme Spinoza, les modes d’une substance : puisqu’avec Leibniz il ne reconnaît que des individus et des monades. Non, de plus, qu’il réduise le mouvement et le vouloir à de pures représentations : il croit à l’identité de la pensée et de l’être. Tout cet univers enfin est soumis à une double loi : la persistance de la force, l’évolution ; Darwin et Mayer achèvent de le faire connaître.

Vingt-deux articles (comme s’il s’agissait d’une confession) résument pour Louis Noiré la foi monistique, qui, à la rigueur, et sans tenir compte des dépendances accessoires, peut se ramener à un petit nombre

  1. Der monistiche Gedanke, p. 306-7.