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espèces de connaissances crée une forte présomption contre l’hypothèse brutale (crude and harty) que les phénomènes mentaux seraient avec le cerveau dans la même relation que les fonctions physiques avec leurs organes. Un tel argument ne prouve absolument rien ; de ce que les phénomènes mentaux ne sont pas connus de la même manière que les phénomènes cérébraux, il ne s’ensuit nullement qu’ils ne soient pas identiques, que ce ne soient pas les mêmes phénomènes aperçus de deux points de vue différents. De ce que le son est connu par l’oreille et que la vibration est connue par la vue, M. Jardine en conclura-t-il que le son n’est pas une vibration ? Ce serait pourtant la même manière de raisonner. À vrai dire, aucune des présomptions contre l’identité de la sensation et du mouvement n’a de valeur scientifique ou philosophique, parce que toutes sont uniquement fondées sur des habitudes de pensée, sur de simples attestations du sens commun ; tandis que toutes les analyses philosophiques ou scientifiques tendent à éveiller chez le philosophe et le savant, une présomption beaucoup plus forte, peut-être même une certitude en faveur de la doctrine opposée.

M. Jardine professe que les phénomènes cérébraux et les phénomènes mentaux sont, à l’égard les uns des autres, dans la relation d’antécédents à conséquents. La sensation commencerait où le phénomène physique finirait. Cette théorie a été victorieusement combattu par M. Lewes dans un excellent ouvrage sur les problèmes de la vie et de l’esprit.

On sait que M. J. St. Mill considérait le monde extérieur comme n’étant qu’un ensemble de possibilités de perception. Cela veut dire que le monde extérieur n’est que la représentation de certains faits accompagnée de la croyance, fondée sur l’habitude, que si certaines conditions étaient remplies, ces représentations pourraient devenir des perceptions. Quand, par exemple, j’ai l’idée de l’existence du Collége de France ou d’un monument quelconque, je crois que si certains phénomènes dépendant en partie de ma volonté (comme par exemple la succession d’efforts musculaires nécessaire pour me transporter à une certaine distance et suivant une certaine direction) étaient accomplis, le monument cesserait d’être une représentation et deviendrait une perception. Mais il y a un autre fait que M. Mill a négligé : c’est la croyance qu’en attendant la perception, l’objet continue à exister indépendamment de la représentation que nous en avons. M. Jardine a très-bien aperçu le défaut de la théorie et l’insuffisance que nous venons de signaler. Il se moque de la doctrine de Mill d’après laquelle un phénomène actuel de sensation aurait pour cause une possibilité de perception ; une possibilité ne peut causer une actualité. Nous croyons que la cause du phénomène actuel a une existence permanente hors de nous, alors même que nous ne la percevons point et que nous la connaissons par pure représentation ; c’est là ce qui reste à expliquer. Si M. St. Mill a déterminé avec beaucoup de justesse en quoi consiste notre notion du monde extérieur, il n’a pas montré pourquoi nous lui attribuons une existence permanente et indépendante de nous, Cette croyance tient naturelle-