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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

de l’oxydation, c’est mettre en doute si l’acide phosphorique ainsi préparé est ou n’est pas le résultat du processus de l’oxydation ; nous n’insistons pas non plus sur le fait qu’il y a dans les os plus de phosphore que dans le cerveau : il suffit que ce soit par un artifice trompeur que l’on sépare un élément du groupe si complexe auquel il appartient ; il suffit de montrer que si l’on attribue ainsi la prédominance à un élément, on devrait l’attribuer non pas au phosphore, dont il n’y a que des traces, mais à l’eau qui forme 80 pour cent de la substance cérébrale.

L’explication commune de la mémoire, que l’on peut lire dans tant de traités modernes, et d’après laquelle les cellules cérébrales retiennent les impressions sensibles, comme les corps phosphorescents retiennent les corps lumineux, et comme les plaques photographiques retiennent les effets de la lumière, est presque aussi extravagante, et tout aussi peu philosophique. Quelque admissibles que soient ces explications comme métaphores, les accepter comme représentant des processus psychiques c’est adopter le matérialisme sous son aspect le plus faux. La plus vague conception spiritualiste est meilleure. Le pieux Charles Bonnet remarquait satiriquement, mais avec raison, que « les âmes étaient très-commodes. Elles sont toujours prêtes à faire tout. Comme nous ne pouvons les voir, comme nous ne pouvons les toucher ni les connaître en aucune manière, nous pouvons en toute confiance leur attribuer tout ce qui nous fait plaisir, puisqu’il est impossible de démontrer qu’elles ne peuvent faire ce que nous disons. À l’idée de l’âme est habituellement unie l’idée d’une substance très-active, d’une substance continuellement active. Cela suffit pour lui accorder beaucoup de crédit. Les difficultés de la recherche font le reste[1]. »

Mais si les « âmes » sont des subterfuges si commodes, elles sont au moins aussi rationnelles que les cellules nerveuses centrales modernes, à propos desquelles on énonce beaucoup de non-sens, qu’énoncent surtout ceux qui les connaissent de seconde main. Je ne peux me permettre d’exprimer ce que je pense de passages comme ceux que je cite en note[2], et on peut aisément les multiplier. La notion d’un esprit qui habite un corps et qui se sert du

  1. Bonnet, Palingénésie philosophique, 1796, I. 129.
  2. « Un jour viendra peut-être où une analyse plus complète de la substance cérébrale rendra compte des manifestations si merveilleuses de l’entendement… Peut être arrivera-t-on à trouver dans un métalloïde ou un métal, jusqu’ici inconnu, l’agent principal de la vie cérébrale… Transmises par les nerfs de nos sens, c’est la substance grise du cerveau qui les perçoit. » Riche, De l’Organicisme, 1869, p. 4, 35 et 7. En lisant ces passages, on peut, se demander si le Matérialisme n’est pas plus absurde que le Spiritualisme.