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g. h. lewes. — spiritualisme et matérialisme.

dité qu’il y a de vouloir expliquer la morale par la mécanique, ou la sculpture par la géométrie, bien que les principes mécaniques soient essentiellement impliqués dans la morale, et les principes géométriques dans la sculpture ; ce n’est cependant qu’un exemple frappant de la doctrine matérialiste.

L’objection que l’on fait au matérialisme de vouloir interpréter les phénomènes en termes de matière et de force, et de prendre pour point de départ le postulat : « point de Force sans Matière, point de Matière sans Force », est une objection que la méthode scientifique met de côte comme inutile. Non moins vaine est l’objection qui reproche à ce postulat d’exclure toute idée d’esprit ou de force qui ne soit pas une forme de l’activité de la matière. Le seul sens dans lequel on puisse employer scientifiquement le mot « spirituel » est celui par lequel on l’identifie avec la conscience, et en ce sens le matérialiste l’acceptera aisément. Le grand et permanent mérite du matérialisme, celui qui a fait sa puissance progressive en dépit de l’opposition, c’est la confiance constante qu’il a eue dans l’expérience sensible, c’est le refus qu’il a fait d’accepter l’idée que les phénomènes sont plus intelligibles quand on les rapporte à des agents métempiriques, — mieux connus quand on leur assigne une cause mystérieuse, que quand on les rapporte à l’intervention de causes que l’on sait agir dans des cas plus simples. En rejetant ainsi les agents extra-organiques, en fixant l’attention sur les conditions observables, — en substituant les lois (qui sont les expressions idéales des faits observés) aux entités imaginées pour diriger l’organisme, il s’est tenu dans la région de l’expérience possible, dans laquelle même les plus larges hypothèses sont sujettes au contrôle de la vérification.

Ses défauts cependant ont été évidents. S’il a rejeté la conception vague et illusoire d’un esprit inconnaissable, ou la personnification d’une abstraction logique (l’âme), il a accepté les conceptions non moins illusoires d’un cerveau « organe de l’esprit », et d’une pensée « propriété de cellules cérébrales ». Le spiritualiste isole l’âme de l’organisme, en supposant que l’organisme est animé par elle, formé par elle, qu’il est son instrument. Le matérialiste tombe inconsciemment dans une erreur analogue ; il isole par abstraction le cerveau du reste de l’organisme, et il suppose que les phénomènes mentaux sont des mouvements de ce cerveau. Il oublie ce fait

    nique par le calcul, que dans l’usurpation plus prononcée de la physique par l’ensemble de la mathématique, ou de la chimie par la physique, surtout de la biologie par la chimie, et enfin dans la disposition constante des plus éminents biologistes à concevoir la science sociale comme un simple corollaire ou appendice de la leur. » Comte, Système de Politique positive, t. I, p. 51.