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e. de hartmann. — schopenhauer et frauenstaedt.

mènes subjectifs, et étaient absolument sans valeur pour l’être lui-même, Frauenstaedt aurait dû s’apercevoir des conséquences de cette restriction par rapport à la différence entre la physique et la métaphysique, mais sa vue a été troublée par cette erreur, déjà combattue par Schopenhauer, que la physique s’occupe de la substance des phénomènes (ne fût-ce que de certaines classes). En réalité, la physique étudie seulement les relations causales des phénomènes (les lois de la transformation de la force), par conséquent elle ne s’occupe pas de l’être se manifestant dans les phénomènes (de la force elle-même). La preuve la plus sûre en est que les savants, qui nient toute métaphysique, cherchent également à nier la force, ce qui leur est facile dans les questions des sciences physiques, car celles-ci se rapportent seulement au mouvement, à la rapidité, à l’accélération, ainsi qu’à la transmission de ces formes phénoménales de la force d’une masse ou d’un atome à l’autre. Le dernier concept de la physique est l’accélération d’après des lois déterminées ; elle ne recherche pas d’où provient cette accélération.

C’est pourquoi Schopenhauer a raison de prétendre, contrairement à l’opinion de Frauenstaedt, que, dût-on avoir porté la physique à la perfection et parcouru toutes les planètes et les étoiles fixes, on n’a pas encore fait le moindre pas vers la métaphysique. Pour pénétrer dans la profondeur, chaque point de l’univers est le Hic Rhodus, hic salta ; celui qui a accompli le saut en un endroit avec pleine conscience l’a accompli pour tout l’univers ; celui qui ne le fait pas sur un point pour la première fois ne pourra jamais le faire. Schopenhauer et Frauenstaedt reconnaissent tous deux que l’étendue de la science est d’une grande importance pour pénétrer dans la profondeur, mais puisque le premier ne sait pas dire comment cette vérité s’accorde avec ce qui précède, le dernier croit devoir déclarer les deux opinions inconciliables et retrancher la première. En définitive, on peut dire ceci : partout il faut pouvoir reconnaître que l’être formant le substratum du monde phénoménal objectif est au point de vue formel, un être voulant et représentant ; mais pour connaître quelle est la substance de cette représentation inconsciente, il faut parcourir toute l’étendue des phénomènes et les examiner tous dans leurs rapports avec l’être. La physique, qui considère les relations des phénomènes entre eux, est la science des causes efficientes. La philosophie, qui considère les relations des phénomènes avec leur être, s’occupe non-seulement de la causalité en elle-même, mais encore des rapports entre la causalité et la motivation, la téléologie et la nécessité logique.

(À suivre.)
E. de Hartmann.