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quement une force en face d’une autre force, à savoir une force organisatrice en face de forces inorganiques. La première est aussi naturelle et agit aussi bien d’après des lois que les dernières. Elle s’en distingue uniquement comme une force supérieure se distingue des inférieures, et suit seulement d’autres lois. » Il est à noter « qu’elle n’agit pas comme les forces de la nature inorganique simplement sur la matière, mais encore sur la forme. Son activité consiste justement dans la production et la conservation de cette forme. »

Il n’est pas question ici de critiquer l’expression : force vitale, que Schopenhauer choisit en conformité avec les opinions scientifiques de son époque pour désigner le principe organisateur ou formateur ; il suffit d’indiquer qu’elle est rejetée actuellement par les sciences naturelles, parce qu’elle fait naître l’idée fausse que le principe organisateur peut être une force matérielle ou mécanique du même ordre que les autres forces de la nature[1]. En fait Schopenhauer et Frauenstaedt pensent comme moi que c’est un principe immatériel, physique, qui n’est lié ni à une matière déterminée (fluide nerveux) ni à certains atomes centraux des organismes, et dont les effets ne sont pas rapportés, comme ceux de toutes les forces de la nature, en vertu d’un pouvoir centripète ou centrifuge, à un point déterminé de l’espace que l’on regarde comme le siège imaginaire de la force. Schopenhauer était d’autant moins en état de se faire une idée nette de la différence existant entre le principe organisateur et les forces matérielles qu’il lui manquait encore relativement à ces dernières le concept de la force mécanique (c’est-à-dire déterminée dans l’espace), et qu’elles lui apparaissaient vaguement sous le concept obscur d’action dynamique.

Frauenstaedt aurait dû traiter ce point avec une précision plus en rapport avec l’état actuel des sciences naturelles. Nous retenons simplement ce fait qu’il reconnaît aussi que le principe organisateur, destiné particulièrement à réaliser la téléologie dans la nature, est une idée dans le sens attaché par Schopenhauer à ce mot. Seulement il ne veut pas admettre que ce soit une idée simple, ou une représentation simple sans le pouvoir de se réaliser elle-même, c’est-à-dire sans énergie de volonté ou sans force créatrice. Mais, en vérité, je ne connais pas de philosophie comprenant sous les idées de la nature de simples idées privées de la puissance de se réaliser. Dans le langage abstrait seulement on peut désigner le principe organisateur comme simple « idée de la vie. » Dans la réalité, le principe organisateur peut uniquement tendre à réaliser une forme concrète

  1. Comp. mon traité : de la force vitale dans mon Recueil d’études et de traités, IV.