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e. de hartmann. — schopenhauer et frauenstaedt.


III. — La sphère de l’individuation.

Pour Schopenhauer l’idéalisme subjectif a une double importance ; d’un côté il est pour lui une garantie de l’unité de l’être du monde, et d’un autre côté il résout le problème de l’individuation. En posant avec raison l’espace et le temps comme le principium individuationis, il déduit de l’esthétique transcendantale de Kant, la conséquence rigoureuse que la pluralité est seulement possible dans le monde des phénomènes subjectifs, mais non pas dans la chose en soi, puisque l’espace et le temps ne doivent plus avoir aucune valeur au-delà de la sphère des phénomènes subjectifs. Ainsi l’unité de la chose en soi est rigoureusement prouvée et le problème de l’individuation se trouve résolu, parce qu’il est transféré du domaine réaliste de l’existence dans celui des phénomènes subjectifs. Si, avec Frauenstadt et Bahnsen, nous éliminons l’idéalisme subjectif du système de Schopenhauer, la prétendue solution idéaliste du problème de l’individuation n’est plus qu’une apparence illusoire et le monisme se réduit à ne plus être qu’une opinion personnelle sans aucun fondement. C’est donc en vertu d’une conséquence logique de l’élimination de l’idéalisme subjectif que Frauenstadt ne trouve pas dans Schopenhauer de solution véritable, c’est-à-dire réaliste, du problème de l’individuation et que Bahnsen s’est cru le droit de rejeter complètement le monisme de son maître et de soutenir que la pluralité des individus était réelle et éternelle. Frauenstadt n’a pas remarqué l’obligation où il se trouve de chercher de nouveaux fondements pour le monisme qu’il veut conserver. Il n’a pas vu que la solution donnée par Schopenhauer au problème de l’individuation n’en est pas une dans le cas où on rejette l’idéalisme subjectif. Il n’a cherché ni à baser le monisme sur de nouvelles preuves ni à résoudre le problème de l’individuation à son propre point de vue. Sa transformation présente donc des lacunes importantes que j’ai essayé de combler dans le sens du réalisme métaphysique de Schopenhauer[1].

Frauenstaedt est d’accord avec moi que la pluralité réellement existante des individus ne peut être cherchée ni dans la sphère de la volonté universelle absolument une, ni dans le monde subjectif des phénomènes d’une conscience individuelle, mais seulement dans une sphère moyenne qui doit être, à proprement parler, désignée comme la sphère de l’individuation et qui est, par rapport à l’unité

  1. Philosophie de l’inconscient. Chap. c. vii et xi.