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analyses.nolen. Critique de Kant

pace et du temps ; l’autre, au contraire, liée aux conditions de l’espace et du temps. C’est la causalité empirique seule, qui, par cela même qu’elle s’exerce dans le temps, est liée à la loi de la détermination universelle ; c’est parce que ses effets se manifestent dans le temps, qu’ils se déterminent nécessairement l’un l’autre, comme les moments du temps. La loi de la raison suffisante, que Leibniz a prise pour une loi des choses en soi, n’est donc qu’une loi des phénomènes, de la causalité empirique, c’est-à-dire des choses telles qu’elles apparaissent, et non des choses telles qu’elles sont. C’est de la causalité empirique et non de la causalité intelligible que Kant nie l’objectivité, et son scepticisme ontologique peut se ramener à cette proposition : le déterminisme leibnizien est une illusion subjective de l’esprit qui rend impossible la morale en rendant impossible la liberté. (La morale, 1. 3, ch. vii.)

Entre les deux interprètes de Kant, nous laissons au lecteur le soin de décider. Quant à nous, nous aurions pu facilement multiplier ces remarques de détail, mais nous déclarons volontiers que, pour nombreuses qu’elles puissent être, elles ne modifieraient pas notre jugement général sur cette partie, la plus importante sans contredit du livre de M. Nolen.

Cinquième partie. — La conciliation dans l’histoire. — Nous insisterons peu sur cette dernière partie dans laquelle l’auteur nous montre se réalisant dans l’histoire la conciliation dont il nous a donné la formule théorique. Elle ne comporte pas moins qu’un résumé substantiel et complet de toute la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel et Schopenhauer.

Nous avons eu la curiosité de rechercher dans un livre aussi fort que celui-ci des conclusions dogmatiques. Il faut avouer que sur ce point l’auteur est extrêmement discret. On trouve cependant des pages comme celle-ci :

« L’esprit, la vie et la matière sont des expressions inégales de l’unité absolue ou de l’harmonie universelle, c’est-à-dire de la pensée divine.

« Il n’y a entre les trois formes de l’unité que des différences de clarté. Dans la matière, l’unité du tout apparaît dispersée et comme brisée ; dans la vie elle est ramenée à l’unité confuse, il est vrai, de l’organisme et de là sensibilité ; dans l’esprit, elle s’élève à la clarté supérieure de la connaissance rationnelle. Chaque parcelle de la matière subit l’action de toutes les autres, mais l’ignore ; l’individu organique a le sentiment obscur de sa relation avec le tout ; dans l’esprit, la conscience de la solidarité universelle, la science du tout atteint à la pleine lumière de la réflexion. Mais la réalité de la matière, comme de la vie, comme de l’intelligence, dépend de leurs rapports avec l’absolu et l’infini ; et la vérité de notre savoir se mesure à l’étendue et à la clarté de la connaissance que nous avons de la liaison universelle. Le divorce cesse entre la matière et la vie, entre la vie et l’esprit. La monade en passant de l’une à l’autre ne change pas d’objet ; elle ne fait que s’élever dans l’échelle des représentations d’un seul et même univers (p. 347). »