Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
513
analyses.nolen. Critique de Kant

a toujours été de donner naissance à des interprétations diverses et parfois opposées. Ce que M. Nolen nous apporte ici c’est son interprétation de la philosophie critique. Il serait évidemment téméraire de la juger, car on ne saurait le faire qu’au point de vue d’une autre interprétation, qui, en somme, n’aurait pas plus d’autorité que celle de M. Nolen. Il ne s’agit donc que de proposer quelques doutes ; chacun jugera du fond suivant l’idée qu’il se fait de la philosophie critique.

Nous ne parlons pas de quelques erreurs en quelque sorte matérielles, sur lesquelles il n’y a pas de discussion possible. Ainsi p. 185, M. Nolen écrit : « Kant n’éprouve aucune peine à dresser la table de ces jugements, ou, comme il les appelle, des catégories. » Il y a ici confusion entre deux tables : 1° Celle des jugements qui se trouve dans l’Analytique des concepts, section II ; 2° celle des catégories qui se trouve dans l’Analytique des concepts, section III. De telles erreurs sont à peu près inévitables dans la première édition d’un aussi grand travail que celui de M. Nolen ; elles sont, d’ailleurs, presque sans inconvénient, car elles ne peuvent tromper un lecteur attentif et compétent : il va de soi, d’ailleurs, qu’un livre comme celui-ci ne s’adresse pas à une autre classe de lecteurs.

Donnons seulement un exemple de ces points difficiles, sur lesquels on peut être tenté de ne pas accepter sans discussion l’interprétation de M. Nolen. Kant a bien vu qu’un des problèmes principaux de la métaphysique consiste à rechercher comment la connaissance est la représentation de la réalité. La vérité consiste dans l’accord de l’esprit et de la nature, de la pensée avec son objet : soit ! mais comment un tel accord est-il possible ? Kant, suivant M. Nolen, fait à cette question une réponse très-simple : c’est qu’au fond l’objet n’existe pas, du moins il n’existe pas en soi. C’est la pensée qui crée son objet ; et c’est en cela précisément que consiste l’idéalisme de Kant. J’ai des doutes, je l’avoue. Je vois très-clairement cette doctrine dans Fichte, je ne la vois pas clairement dans Kant. Kant, si je ne me trompe, nous représente l’esprit comme le législateur, non comme le créateur de l’objet. La doctrine de Kant est obscure, difficile, je l’avoue. Peut-être est-ce justement pour dissiper cette obscurité que Fichte a proposé sa doctrine, mais nous n’avons pas le droit de changer Kant pour l’éclaircir. Chacun aie droit incontestable de faire de Kant tel emploi que bon lui semble, pour chercher la vérité, mais alors il faut bien savoir que ce qu’on cherche c’est la vérité et non la pensée de Kant. On est un philosophe, on n’est plus un historien. Il est clair que nous ne pouvons instituer ici une discussion de textes avec M. Nolen. Si son interprétation de Kant diffère de la nôtre sur certains points, elle est celle d’un esprit remarquablement vigoureux, qui a longuement et profondément étudié Kant, Elle mérite à ce titre d’être examinée avec la plus sérieuse attention.

Quatrième partie. — Essai de conciliation théorique entre la métaphysique de Leibniz et la critique de Kant. — C’est ici la partie la